Combattre le terrorisme de quatrième génération

Les attentats du 13 novembre nous ont fait entrer dans l’ère du terrorisme de quatrième génération. La première génération correspond à la période de la guerre froide. Le terrorisme était alors considéré comme un moyen de faire connaître une cause et de négocier. Les attentats étaient davantage perçus comme une nuisance que comme une menace stratégique. Le 11 septembre 2001 marque le passage au terrorisme de deuxième génération : on craint la multiplication des «hyper-attentats», imaginant que des terroristes armés de «bombes sales» pourraient faire des dizaines de milliers de morts. Face à une menace désormais vue comme stratégique, les Etats-Unis réagissent en déclenchant la «guerre globale contre le terrorisme». Les autorités françaises émettent des doutes sur ce concept : le Livre blanc du gouvernement sur la sécurité intérieure de 2006 précise que «la France n’est pas en guerre contre les terroristes».

Les frappes militaires en Afghanistan entraînent rapidement la chute du régime des talibans. Al-Qaeda perd son sanctuaire et doit évoluer pour survivre. L’organisation opte pour une stratégie de décentralisation qui se caractérise entre autres par un investissement important dans le Web. Internet devient non seulement un vecteur de propagande, mais une véritable plateforme opérationnelle qui permet de diffuser orientations stratégiques et conseils tactiques. L’objectif est notamment de faire naître des vocations terroristes dans les pays occidentaux. Apparaît ainsi au milieu des années 2000 la troisième génération de terrorisme, celle du wikiterrorisme. A l’image de l’encyclopédie Wikipedia, que tout un chacun peut enrichir, tout le monde ou presque peut commettre un attentat et se revendiquer d’Al-Qaeda.

La quatrième génération constitue pour la France une menace bien plus grave que les précédentes. Nous avons affaire aujourd’hui à un terrorisme à la fois centripète et centrifuge. La proclamation du califat par Abou Bakr al-Baghdadi a créé un appel d’air inédit. Environ 25 000 combattants étrangers ont afflué vers la Syrie et l’Irak dont plus de 5 000 Occidentaux. Les Français constituent le contingent européen le plus important : un millier d’apprentis jihadistes ont répondu à l’appel du calife Ibrahim - autre nom du chef de Daech. En parallèle à cette dynamique centripète, on voit se développer une dynamique centrifuge : environ 300 Français sont revenus de Syrie et d’Irak. Tous ne présentent pas le même niveau de dangerosité : certains sont dans une logique de repentir, d’autres étant des terroristes en puissance.

Combattre le terrorisme de quatrième génération suppose d’agir sur les forces centripète et centrifuge. Les autorités françaises l’ont compris : d’une part elles agissent à la source du problème en participant à la coalition contre Daech ; d’autre part elles entendent lutter contre la radicalisation sur le territoire national, et mieux contrôler les flux entre France et Syrie. Au moins trois problèmes de taille se posent néanmoins quant à notre participation à la guerre au Moyen-Orient. Tout d’abord, nous sommes face à un ennemi hybride et modulable. Daech est à la fois un Etat en construction, un mouvement de guérilla et une organisation terroriste. Si nous réussissons à détruire l’Etat en construction, les jihadistes de tous les pays se disperseront, menaçant non seulement l’Europe mais également des zones déjà fragilisées du monde arabe. Ensuite, nos moyens militaires - qui ont nettement décru depuis la fin de la guerre froide - sont insuffisants. S’il est une leçon à retenir des guerres asymétriques du début du XXIe siècle, c’est que la qualité des matériels militaires ne remplace pas la quantité. Enfin, stabiliser un Etat en déliquescence exige des troupes au sol. Les échecs d’Afghanistan et d’Irak n’incitent guère les Occidentaux à envoyer des boots on the ground en Syrie. La question est donc de savoir qui pourra faire le travail à notre place, sachant qu’il ne suffit pas de déployer des troupes en masse : il faut aussi que ces troupes œuvrent pour un projet politique accepté par les populations locales, et qu’elles puissent être efficaces.

A ces problèmes externes s’ajoutent trois difficultés internes. Tout d’abord, les services de sécurité sont débordés : ils doivent non seulement surveiller des milliers de ressortissants nationaux, mais aussi des radicaux susceptibles de venir d’autres pays de l’Union européenne. Ensuite, les mécanismes de radicalisation restent largement méconnus. Tant que nous n’aurons pas saisi ce qui pousse des centaines de jeunes à haïr notre système au point de vouloir le détruire, nous aurons le plus grand mal à mettre en place des programmes de contre-radicalisation efficaces. La lutte contre Daech ne se gagnera pas seulement avec des militaires et des policiers, mais aussi avec des psychologues et des sociologues. Enfin, l’aspect idéologique de Daech a jusqu’à présent été négligé. Or, qu’on le veuille ou non, le combat contre le salafisme jihadiste sera idéologique ou ne sera pas. En somme, nous devons tous nous préparer à une lutte longue et âpre.

Marc Hecker, chercheur à l'institut français des relations internationales (Ifri).

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