Combien l’incertitude créée par le Brexit a coûté à l’économie britannique ?

Le résultat du référendum en faveur du Brexit a plongé l’économie britannique dans l’incertitude depuis maintenant trois ans. Combien cette incertitude a-t-elle coûté à l’économie britannique ? Pour répondre à cette question il faut procéder en deux temps.

Premièrement, il faut mesurer le niveau d’incertitude politique. Pour cela, on utilise les médias : les économistes Scott R. Baker, Nick Bloom et Steven J. Davis ont récemment proposé une nouvelle façon de mesurer l’incertitude politique. Leur idée est assez simple : compter dans les journaux la part des articles publiés faisant état de cette incertitude ; c’est-à-dire contenant à la fois les trois termes « économie » et « politique » et « incertitude ». Cette méthode peut être appliquée à un grand nombre de pays, pour des périodes très différentes et permet même un suivi au jour le jour.

Deuxièmement, il faut mesurer l’effet de cette incertitude sur l’économie. Mesurer un effet signifie être capable d’établir une relation de causalité de l’incertitude vers l’économie. Or, la situation de l’économie a naturellement elle aussi un effet sur l’incertitude : une dégradation de l’environnement économique s’accompagne souvent d’une montée de l’incertitude sur la politique économique qui sera menée en réponse. Face à cette interdépendance des phénomènes économiques, différentes stratégies permettent de démêler les relations de causalité en jeu.

L’idéal serait de disposer de changements de l’incertitude strictement indépendants de la situation de l’économie. De tels changements étant rares, des méthodes statistiques permettent d’identifier ce type d’événements en se fondant sur le constat qu’ils touchent instantanément certaines variables financières, comme le taux de change ou les cours boursiers, mais pas les comportements de production et d’investissement, plus inertes par nature, et qui par conséquent réagissent avec un délai d’au moins un mois.

Un coût important mais pas catastrophique

En bref, on exploite les différences de vitesse de réaction entre les différents acteurs de l’économie. On peut alors faire une expérience contrefactuelle : quantifier les effets de l’incertitude en comparant la trajectoire avec celle qu’elle aurait suivie en l’absence de ces changements de l’incertitude. Quels enseignements peut-on en tirer concernant le Brexit ?

L’économie britannique a crû à un rythme de 1,9 % par an entre 2016 et 2018. En l’absence de ces changements de l’incertitude, la croissance aurait été plus élevée, autour de 2,3 % par an, soit une perte de 0,4 point de croissance annuelle pendant ces trois années. En termes de produit intérieur brut (PIB), cela représente une perte moyenne de – 0,8 % par an, la valeur la plus basse étant de – 1,3 %. Etant donné que le PIB annuel moyen de la Grande-Bretagne se situe autour de 2 000 milliards de livres sterling, le coût économique de l’incertitude s’élève à 16 milliards de livres par an depuis 2016, soit 307 millions de livres par semaine ; à peu près ce que les bus électoraux de Boris Johnson promettaient de récupérer de l’Union européenne grâce au Brexit (350 millions de livres).

Ces chiffres indiquent que le coût économique de l’incertitude est certes important, mais sans pour autant être de nature à plonger l’économie britannique dans une profonde récession comme entre 2007 et 2009 lorsque son taux de croissance annuel avait chuté de plusieurs points passant de +3 % à – 6 %.

Ces ordres de grandeur (1 % du PIB, un demi-point de croissance) nous invitent d’abord à éviter tout catastrophisme dans ces situations de changements politiques – le Brexit, mais également l’élection de Donald Trump qui devait soi-disant elle aussi précipiter l’économie américaine dans le chaos. Toutefois, même si l’incertitude politique ne déclenche pas de sévères récessions, son impact sur l’économie est suffisamment important pour que les responsables politiques en tiennent compte en mettant œuvre des politiques de soutien à l’activité pour en atténuer le coût économique.

Fabien Tripier (Professeur d’économie à l’université d’Evry et conseiller scientifique au Centre d’études prospectives et d’informations internationales / CEPII).

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *