Comme la plupart des banques centrales, la Banque d’Angleterre est une création du gouvernement

La Banque d’Angleterre, née à la fin du XVIIe siècle, a participé aux grands jours de l’Empire britannique ; elle a traversé les guerres mondiales. Devenue indépendante en 1997, elle est à présent aux prises avec le Brexit. Comme la plupart des banques centrales, la Banque d’Angleterre est une création du gouvernement. Elle a été fondée en 1694 sur la base d’un quid pro quo. En échange d’un financement, sous forme d’achats d’obligations, pour mener une guerre contre la France, la Banque d’Angleterre a bénéficié d’avantages particuliers : seule banque par actions autorisée en Angleterre, elle est devenue la banque favorite du gouvernement. Elle a été établie par une charte parlementaire, réexaminée périodiquement. Durant les renégociations des privilèges de la Banque, le gouvernement essayait d’obtenir des conditions de financement plus avantageuses.

L’importance de la Banque d’Angleterre par rapport aux autres banques commerciales n’a cessé de croître. En 1816, le célèbre économiste David Ricardo argumente qu’il est préférable que le seigneuriage (revenu obtenu par l’émission de monnaie) soit aux mains d’une institution publique plutôt que privée. Se méfiant néanmoins des inclinations du gouvernement à émettre trop de monnaie pour financer ses dépenses, Ricardo préconise, dans son Plan for the Establishment of a National Bank (1824), de donner le pouvoir d’émettre la monnaie à des commissaires indépendants du pouvoir politique.

Nouveau régime

S’inspirant des recommandations de Ricardo, le premier ministre Robert Peel divise, en 1844, la Banque en un département chargé des émissions et contrôlant la valeur de la monnaie et un département des affaires bancaires. Pendant la première guerre mondiale, le contrôle du gouvernement sur la Banque d’Angleterre s’accroît notablement. La conduite de la politique monétaire et des changes restent la prérogative du gouvernement, la Banque est son agent. Cela ne se fait pas sans problème : le gouverneur Walter Cunliffe essaie de bloquer certains ordres du Trésor britannique concernant l’utilisation des réserves d’or, ce qui conduit à une confrontation avec le premier ministre Lloyd George. Il devient très clair que, en cas de guerre ou de crise, la Banque est subordonnée au gouvernement. De la crise de 1931, où la livre sterling sort de l’étalon-or, à la fin de la seconde guerre mondiale, les décisions stratégiques en matière de politique monétaire et de flux de capitaux sont du ressort du Trésor et non de la Banque. Entérinant cette situation de dépendance, le gouvernement travailliste nationalise la Banque d’Angleterre en 1946.

Dans les années 1970, la situation macroéconomique se détériore de façon notable à la suite des chocs pétroliers ; la stagflation s’établit. La Banque d’Angleterre sort du système monétaire européen, après avoir subi une attaque spéculative en septembre 1992. Cela met fin à près de trois cents ans de régimes monétaires (étalon-or, Bretton-Woods, système monétaire européen) durant lesquels l’objectif principal de la Banque d’Angleterre, d’un point de vue macroéconomique, était externe : la stabilisation du taux de change de la livre sterling. La Banque adopte alors le ciblage de l’inflation comme régime de politique monétaire et un taux de change flexible.

Incorporant des idées issues du monde universitaire, selon lesquelles une Banque centrale obéissant au pouvoir politique serait tentée de faire trop d’inflation pour stimuler l’activité économique et perdrait ainsi sa crédibilité, le gouvernement britannique accorde l’indépendance opérationnelle à la Banque d’Angleterre en 1997. Depuis, le Trésor britannique fixe une cible d’inflation à la Banque (environ 2 %) et celle-ci doit la respecter en agissant comme elle le juge préférable. Jusqu’à 2007, le nouveau régime a produit de bons résultats quant à cet objectif.

L’incertitude du Brexit

La crise financière de 2008 a amené la Banque d’Angleterre, comme toutes les autres grandes banques centrales, à agir comme prêteur en dernier ressort et à prendre des mesures de politiques monétaires non conventionnelles pour essayer de remplir son mandat dans un environnement déflationniste, où les taux directeurs sont proches de zéro. La crise a eu deux effets majeurs. D’une part, elle a remis au centre des préoccupations le mandat de stabilité financière des banques centrales qui, en particulier en Angleterre et aux Etats-Unis, avaient adopté une attitude de « laisser-faire » vis-à-vis des marchés financiers. La Banque d’Angleterre abrite, depuis 2012, un Financial Policy Committee (« conseil de stabilité financière ») chargé de contrôler le risque systémique. D’autre part, l’achat important de titres souverains par les banques centrales pour éviter la déflation et relancer l’économie a rouvert le débat sur les interconnexions entre politiques monétaire et budgétaire.

Le Brexit apporte par ailleurs son cortège de récriminations. L’actuel gouverneur, Mark Carney, s’est vu critiqué pour avoir publié des prévisions économiques sur le Brexit et examiné différents scénarios, dont certains pessimistes (notamment le « no deal »). Il ne fait pourtant que tenir son rôle de banquier central, censé anticiper les crises pour y répondre vite. La direction de la vénérable Banque d’Angleterre se trouve confrontée à une plus grande incertitude, avec le gouvernement populiste de Boris Johnson, qui tend à opposer « peuple » et « experts ».

Hélène Rey est professeure à la London Business School.

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