Comment Donald Trump a reconquis la carte électorale

La victoire de Donald Trump dans le Wisconsin
La victoire de Donald Trump dans le Wisconsin

Les Américains ont élu Donald Trump à la présidence avec une large majorité des grands électeurs. Pour la deuxième fois dans l’histoire politique moderne, le futur président n’a pas emporté le vote populaire. Le collège électoral hérité du XVIIIe siècle favorise une nouvelle fois le candidat républicain et renforce le poids de l’Amérique profonde face aux grandes villes dans la désignation du président. La stratégie Trump de reconquête de la carte électorale par le vote blanc du Midwest s’est avérée gagnante.

La frustration des électeurs blancs de la «Rust Belt»

C’est dans la fameuse Rust Belt que Trump a réussi à faire basculer l’élection. Les Etats du Wisconsin (voir ci-dessous), du Michigan, de l’Illinois, de l’Indiana, de l’Ohio et de la Pennsylvanie, anciens bastions industriels, devaient constituer l’ultime barrière de Hillary Clinton contre Donald Trump. En 2008 et 2012, Barack Obama les avait tous emportés, sauf l’Indiana. En 2016, seul l’Illinois est resté dans le camp démocrate. Les résultats du Michigan sont toujours attendus.

Ces Etats, traditionnellement favorables au Parti démocrate, ont fortement souffert de la crise économique et, plus durablement, de la désindustrialisation. Ils ont été frappés de plein fouet par la récession de 2008, dont certains peinent à se remettre. Parmi leurs habitants, les électeurs blancs de la classe moyenne populaire, à faible niveau d’éducation et de revenus, se sentent les oubliés de la reprise économique. Ce ne sont pas les plus pauvres, que l’on retrouve plutôt parmi les minorités. Mais c’est une population en perte de repères identitaires face à l’immigration, frappée par la délocalisation des emplois liés à la mondialisation. Ces électeurs expriment la peur du déclassement social et de la menace terroriste, et la nostalgie d’un âge d’or de l’Amérique que Trump a promis de restaurer.

En 2010 déjà, leur mobilisation pour les candidats du Tea Party avait donné au Parti républicain sa majorité au Congrès. En 2012, le candidat républicain Mitt Romney, qui avait affiché son mépris pour les «47 %» de chômeurs dépendant du gouvernement, n’avait pas su les mobiliser en nombre suffisant pour contrer l’électorat démocrate. Donald Trump, en revanche, a su capter leur rage et la canaliser pour aboutir à une mobilisation suffisamment forte et faire basculer une partie d’entre eux du camp démocrate au camp républicain. Il a probablement été aidé par la démobilisation d’une partie de l’électorat démocrate, ce que nous apprendront les données dans les jours à venir. L’électorat de Trump, c’est l’Amérique blanche contre la diversité (58 % des Blancs ont voté pour lui) ; l’Amérique rurale contre les villes (62 % vivent dans les petites villes ou comtés ruraux) ; l’Amérique populaire contre l’élite (67 % des non-diplômés) ; et l’ancienne génération contre les nouvelles (plus de la moitié est âgée de plus de 45 ans).

Le vote religieux et la «Bible Belt»

C’est aussi l’Amérique religieuse. Les protestants favorisent les candidats républicains, et 2016 n’a pas fait exception. Presque deux sur trois ont soutenu Trump. Les évangéliques blancs, en particulier, se sont ralliés à sa cause à 81 %, ce qui lui a permis de creuser l’écart avec Clinton dans la Bible Belt. Donald Trump a emporté le Missouri avec une marge bien supérieure à celle de Mitt Romney en 2012. Cette mobilisation a participé à la réélection du sénateur républicain Roy Blunt et a permis aux républicains de gagner un nouveau siège de gouverneur. Grâce au vote religieux, Trump a aussi progressé dans les autres Etats de cette région, de la Caroline du Nord au Texas. Seule la Géorgie fait exception, en raison de la mobilisation des populations noires et de l’arrivée de populations hispaniques qui n’ont pas fait basculer l’Etat dans le camp démocrate, mais elles l’ont rendu compétitif. C’est certainement Mike Pence, le très religieux futur vice-président, qui a permis à Donald Trump d’emporter le vote des évangéliques blancs et a rassuré les socioconservateurs inquiets du passé de Trump.

Les catholiques, qui ont préféré Obama en 2008 et 2012, se sont aussi tournés vers Trump (52 %), Clinton a emporté les autres religions et les sans-religions, avec une marge cependant moindre que celle d’Obama en 2012. Seule la communauté juive a augmenté son soutien au Parti démocrate (71 % pour Clinton, contre 69 % pour Obama). Enfin, même si elle ne compte que pour 1 % de l’électorat, la communauté mormone est une base électorale républicaine fiable, concentrée dans l’Utah et le sud-est de l’Idaho : plus de trois mormons sur quatre avaient voté pour Romney en 2012. Cette année, seuls 61 % ont soutenu Trump. Une large portion d’entre eux s’est tournée vers le candidat indépendant Evan McMullin : il a obtenu 20 % dans l’Utah.

Le vote hispanique dans le sud, le lent réveil du géant endormi ?

La défaite de Clinton au niveau du collège électoral masque un phénomène notable en Californie, au Texas, et dans l’Arizona. En Californie, la forte mobilisation hispanique a augmenté la marge de victoire démocrate dans le sud. Acquise au parti démocrate, la Californie pèse peu dans l’élection présidentielle, mais cette forte mobilisation se retrouve au Texas et dans l’Arizona, où elle a contribué à réduire la marge de victoire républicaine de manière significative. Les démocrates ont les yeux rivés sur ces deux bastions républicains traditionnels. La population hispanique représente la majorité de la croissance démographique de ces Etats et offre un potentiel croissant pour les démocrates. Hillary Clinton a perdu le Texas d’environ 9 points de pourcentage (52,6 % pour Trump, contre 43,4 pour Clinton), alors que Obama avait perdu cet Etat de 16 points face à Romney.

Elle a proportionnellement gagné le plus de voix dans les comtés fortement hispaniques de Californie d’El Paso et de Bexar (San Antonio), et dans les comtés texans de Harris (Houston) et de Dallas (Dallas-Fort Worth), où l’arrivée des Hispaniques conjuguée à la mobilisation d’une large population afro-américaine renforce les rangs démocrates. Non seulement Clinton a réduit la marge de victoire de Trump, mais elle a aussi réussi à obtenir plus de voix que Obama en 2012, indiquant une mobilisation très importante en sa faveur. Dans l’Arizona, elle a aussi fait mieux que Obama dans les comtés fortement hispaniques du sud et dans le comté d’Apache où sont concentrés les Indiens américains. Dans le comté de Maricopa (Phoenix), le centre démographique de l’Arizona, Clinton a réduit la marge de victoire de Trump à moins de 4 points. Le total de votes attribués aux deux candidats est en revanche bien plus faible qu’en 2012, indiquant un manque d’enthousiasme de la part des électeurs.

Il reste à voir si les résultats de 2016 indiquent un réveil définitif du géant latino, ou s’ils ne sont que la conséquence de la rhétorique antimigratoire de Trump.

Les évolutions démographiques tendent à consolider l’avantage des démocrates dans l’électorat général et sur la carte électorale, grâce à la forte croissance des jeunes, des minorités et du niveau d’éducation des électeurs dans de nombreux Etats clés. Mais Trump a réussi à retourner la situation à son avantage, en suscitant l’adhésion et la mobilisation d’un électorat, certes, déclinant mais encore significatif : les hommes blancs en colère de l’Amérique profonde.

Roman Vinadia, Doctorant à l'Institut français de géopolitique (IFG), Paris VIIIe.
Frédérick Douzet, Professeure à l'IFG

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