Comment ramener enfin la paix dans l’Afrique des Grands Lacs

Véritable buzz du mois de mars, le web-documentaire Kony 2012 a réussi à générer plus d’attention en quelques jours sur le sort des populations des Grands Lacs africains que vingt ans d’analyses sophistiquées. En quelques jours, plus de 100 000 personnes ont vu le film: et voilà Joseph Kony, le chef de l’Armée de résistance du seigneur ougandaise, devenu célèbre.

Plébiscité par le public, le film est souvent vilipendé par les spécialistes pour sa simplification excessive. L’ONG qui l’a produit, The Invisible Children, est aussi suspectée d’avoir trop dépensé en propagande et trop peu en Ouganda. Malgré tout, ce film a le mérite d’éveiller les esprits sur une cause largement ignorée. Plus problématique est la solution proposée: un soutien armé américain aux forces armées en Afrique centrale, un choix qui, par le passé, s’est avéré contre-productif. Pour venir en aide aux populations locales, une nouvelle approche s’avère indispensable. La Suisse s’est déjà illustrée par sa stratégie d’avant-garde dans les négociations avec Joseph Kony.

Reprenons depuis le début. Joseph Kony vient d’une famille mystique de la communauté Acholi au nord de l’Ouganda. Depuis son indépendance, ce pays n’a quasiment connu que des régimes forts opposant le nord et le sud du pays. A partir des années 80, une rébellion se développe dans le nord contre le gouvernement issu du sud. Appelée Mouvement du Saint-Esprit, la rébellion est dirigée par Alice Lakwena, tante ou cousine de Joseph Kony. Celle-ci menaça un temps la capitale, jusqu’à sa défaite en 1988.

Les rebelles se replièrent dans le nord du pays où le mouvement fut repris en main par Joseph Kony sous le nom de Lord’s Resistance Army. Joseph Kony, comme sa tante, est un mystique, dont la vocation viendrait des esprits. Le recours au sacré est une redoutable arme de mobilisation et de contrôle des combattants.

Au cours des vingt dernières années, l’Armée de la résistance du seigneur a subi une transformation profonde. Le Joseph Kony résistant des années 80 est bien loin du personnage actuel. Le mouvement utilise la terreur non seulement contre ses ennemis, mais aussi contre les délateurs présumés au sein de sa propre population (en les mutilant). En vingt ans, il aurait massacré plus de 100 000 personnes et enlevé plus de 30 000 enfants, ce qui lui vaudra d’être inculpé par la Cour pénale internationale en 2005.

Trouver une solution n’est donc pas aisé. Entre l’option armée et la négociation, la guerre a souvent été l’option privilégiée. Kony 2012 préconise d’ailleurs cette option de façon paternaliste et surtout simpliste. Cela fait des années que l’armée ougandaise, avec le soutien américain, puis des forces spéciales onusiennes, et, enfin, les armées des différents pays des Grands Lacs africains tentent d’arrêter (ou d’«éliminer») Joseph Kony. Celui-ci opère désormais à la lisière de quatre pays, sur un territoire de la taille de la France. Le terrain est très accidenté, couvert d’herbe à éléphant de deux mètres de haut ou alors d’une végétation dense ressemblant à des brocolis vus du ciel.

Chaque opération ratée déclenche de terribles représailles contre la population locale. En 2008, 640 civils congolais furent massacrés et 160 enfants enlevés en l’espace de deux semaines. La LRA remplace aussi systématiquement ses combattants perdus en procédant à de nouveaux enlèvements. Après plus de vingt ans de guerre, Joseph Kony bénéficie d’un capital humain unique: une génération de combattants aguerris, nés et ayant grandi dans la guérilla, confrontés aux combats dès leur plus jeune âge et bénéficiant d’une connaissance approfondie du terrain.

Afin d’éviter les effets secondaires tragiques d’une politique expéditive, toute solution devra s’articuler autour de quatre axes incluant tant les politiques que les militaires et agissant tant au niveau local qu’international.

1. Contenir militairement

Le concours des militaires est indispensable pour contenir Joseph dans sa zone d’action actuelle et sécuriser les principaux centres urbains. Cependant, il est tout aussi nécessaire de maintenir les forces armées de la région (souvent constituées d’anciens rebelles à la réputation douteuse) dans des bases où elles peuvent être disciplinées et approvisionnées. En 2005, les militaires ougandais avaient été condamnés par le Tribunal international de La Haye pour les violations massives des droits de l’homme et l’exploitation illégale des ressources naturelles au Congo.

2. Un développement participatif

Aider les jeunes à fuir la rébellion ne suffit pas, car ils se retrouvent souvent aussi pauvres qu’avant, rejetés par leur communauté, souffrant de troubles comportementaux, tandis que les filles mères sont nombreuses à se prostituer afin de nourrir leur enfant. Si on peut saluer l’aide de l’Union européenne aux populations affectées, il s’agira d’inclure ces populations dans le choix et le financement des projets au travers de la société civile (ONG, structures religieuses et traditionnelles).

3. Un lobby politique

Il s’agit également d’empêcher l’approvisionnement et le soutien politique de Joseph Kony. Certains, au niveau de la diaspora Acholi et des pays voisins, ont soutenu ce qu’ils considèrent encore comme une rébellion. C’est à leur niveau qu’un lobby social et politique agressif est nécessaire. Certains régimes comme le Soudan, peu favorables à l’Occident, seront mieux sensibilisés au travers de pays «proches» telle que la Chine. Pour agir efficacement au niveau régional, il faudra donc agir à l’échelle internationale.

4. Un dialogue régional

Finalement, il s’agira de développer à nouveau un dialogue avec Joseph Kony et la société civile. De fait, le processus de paix le plus abouti, celui de 2006 et 2008, ouvert sous l’égide du Soudan du Sud fut de loin une des périodes les plus calmes. Ses principaux atouts ont été sa dimension régionale et la participation de la société civile. Il manquait toutefois une action diplomatique internationale incluant la Chine par exemple et une coordination militaire ne visant pas tant «l’élimination» de Joseph Kony que la protection des populations locales. La Suisse, acteur neutre, discret, qui a déjà soutenu ce type d’action à l’égard de Joseph Kony, a un rôle à jouer.

Caty Clément, cheffe du Programme conflit et consolidation de la paix et membre du corps facultaire au Centre de politique de sécurité de Genève

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