Comment reconstruire l’édifice européen

Le traité de Maastricht de 1992 semblait offrir une voie simple et en apparence robuste pour construire l’union monétaire européenne. Il se résumait à une stricte répartition des tâches, assortie d’une triple interdiction.

En vertu de son mandat (la stabilité des prix dans l’ensemble de la zone euro), la Banque centrale européenne (BCE) devait réagir aux perturbations qui touchent l’ensemble de la zone ; les gouvernements nationaux, eux, devaient réagir aux perturbations spécifiques à leur pays engendrées par la politique budgétaire. Si la zone euro allait mal, la BCE abaissait son taux d’intérêt ; si un Etat membre allait mal de manière isolée, son gouvernement pouvait soutenir transitoirement l’activité en augmentant les dépenses publiques ou en allégeant les impôts.

Le traité interdisait à la banque centrale de financer directement les Etats et dissuadait ces derniers de se renflouer les uns les autres, sans pour autant prévoir la possibilité d’une restructuration de dette souveraine. Non-monétisation, non-renflouement, non-restructuration : les gouvernements n’avaient qu’à bien se tenir en respectant le pacte de stabilité…

Vis budgétaires

Mais, voilà, la crise a détruit ce bel édifice. La BCE s’est trouvée dans l’incapacité d’empêcher l’inflation de tomber à un niveau trop bas par rapport à son objectif (2 % par an), et surtout pour les besoins d’une économie surendettée. Certes, son action avait été confortée par une relance budgétaire coordonnée en 2009 ; mais, en 2012-2013, les Etats membres ont serré les vis budgétaires alors que l’économie de la zone replongeait et que la BCE semblait avoir épuisé ses munitions. Et quand certains pays périphériques ont été touchés par des crises spécifiques, ils ont été dans l’incapacité de soutenir leurs économies à travers la politique budgétaire, les marchés refusant soudainement de leur prêter. En l’absence de monétisation, de renflouement ou de restructuration, la seule issue pour eux était de réduire drastiquement les dépenses publiques et d’augmenter les impôts – dans des proportions parfois irréalistes dans un temps aussi limité.

C’est pourquoi des accommodements ont été trouvés : la dette grecque a été restructurée, le Mécanisme européen de stabilité (MES, financé par les Etats) a prêté à taux très bas aux pays en difficulté ; de son côté, la BCE a aidé les Etats sans les financer directement, mais à travers ses achats massifs de dettes publiques et sa promesse d’en faire encore davantage (moyennant un programme d’ajustement) si un Etat voyait ses conditions d’emprunt soudainement s’envoler.

Ces petits accommodements mettent-ils la zone euro à l’abri d’une nouvelle crise ? Malheureusement non. Le MES a une force de frappe limitée, la BCE va réduire ses achats de dettes publiques et, pire encore, la perspective d’une restructuration de dettes – si l’on met de côté le cas spécifique de la Grèce – constitue une dangereuse épée de Damoclès pour les banques de la zone euro dont les bilans sont gorgés de dettes, surtout nationales.

Un autre monde

Dans le monde de Maastricht, les banques soutenaient les Etats en achetant les titres de dette publique tandis que les Etats soutenaient les banques, en prévoyant implicitement un renflouement en cas de difficulté. Mais l’Union bancaire mise en place à partir de 2015 a emmené la zone euro vers un autre monde, où les actionnaires et les créanciers des banques sont seuls responsables des folies bancaires. La présence massive de titres de dette italienne dans les banques italiennes, de titres de dette espagnole dans les banques espagnoles, etc., rend très problématique l’éventualité d’une restructuration de ces dettes. On ne va quand même pas déclencher volontairement une nouvelle crise financière !

La solution serait de diversifier les expositions souveraines des banques, pour qu’une restructuration dans un pays A n’affecte pas massivement les banques du pays A, mais de manière plus diffuse les banques des pays A, B, C… Mais comment obtenir une telle diversification ? Imposer aux banques italiennes de détenir moins de dettes italiennes ne garantit pas que les banques allemandes ou françaises en achèteront davantage. Pour éviter une sortie de route durant la transition, plusieurs solutions ont été proposées, faisant intervenir le MES et/ou une forme d’euro-obligation. Toutefois, aucun accord politique n’a encore été trouvé.

Reste aussi la question de la coordination entre les gouvernements et la BCE. L’Union monétaire européenne s’est faite après le constat de l’échec de la coordination des politiques monétaires, en 1992-1993. De la même façon, l’échec de la coordination des politiques budgétaires pose la question de l’intégration budgétaire comme substitut à une coordination défaillante. Eviter des erreurs majeures de politique budgétaire est possible, pour un coût faible en comparaison des dommages causés par les crises. Chiche ?

Par Agnès Bénassy-Quéré, professeure à l’Ecole d’économie de Paris et à l’université Paris-I, et présidente déléguée du Conseil d’analyse économique)

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