29 octobre 2014. La filiale japonaise du groupe Nestlé annonce qu’elle va engager 1000 robots comme vendeurs de machines à café dans les grandes surfaces et les boutiques spécialisées du pays. Ces robots «Pepper» sont des semi-humanoïdes dotés d’un visage plutôt sympathique et montés sur roulettes. Ils ont une tablette tactile à la place du ventre. Ils sont surtout capables de dialoguer, non sans humour, avec les clients et de leur proposer les différents articles qu’ils sont chargés de vendre.
La fiction avait déjà précédé la réalité. Depuis janvier 2012, la télévision suédoise diffuse une série d’un nouveau genre: Real Humans : 100% humain. Encore peu connue sous nos latitudes – elle n’a été diffusée que sur Arte –, la série se déroule dans un monde où l’usage des androïdes est devenu banal. Façon de parler. Car ces androïdes, ces «robots humains» baptisés «hubots», sont utilisés comme domestiques, ouvriers et même comme partenaires sexuels. En arrière-plan des intrigues de la série, un débat de société s’installe entre ceux qui sont favorables à cette nouvelle technologie et ceux qui en redoutent les conséquences sociales.
On sait bien que l’avenir ne se présente jamais vraiment comme on l’avait imaginé ou prédit. L’an 2000 n’a pas toujours été comme on l’attendait dans les années 1960 ou même après. Mais la révolution numérique en cours depuis deux à trois décennies s’accélère. Le développement de la robotisation, qui a déjà bouleversé de nombreuses entreprises industrielles, est une nouvelle étape de cette révolution.
L’automatisation va désormais toucher l’économie tertiaire, celle des services. Les métiers manuels ne sont plus les seuls concernés. Tous les secteurs seront touchés En (très) résumé, 20% des tâches aujourd’hui accomplies dans les services pourraient être «robotisées» dans dix ans. C’est une étude de Roland Berger Strategy Consultants, l’un des leaders mondiaux de la branche, qui vient de lancer l’alerte à grande échelle*. Mais une équipe de l’Université d’Oxford avait déjà calculé en 2013 que 47% des emplois risquaient d’être automatisés dans une vingtaine d’années aux Etats-Unis.
Cette robotisation ouvre bien sûr de nouvelles perspectives de création d’emplois, à commencer dans les nouvelles technologies qui permettent de produire des robots de plus en plus sophistiqués, de plus en plus mobiles, autonomes et intelligents. Mais les emplois créés ne remplaceront de loin pas tous les emplois détruits, ni en nombre ni en termes de compétences requises. Cette évolution va encore augmenter les besoins en emplois très qualifiés au détriment du travail peu qualifié. Et dans les services, les nouveaux profils d’emploi seront différents de ceux qui sont aujourd’hui recherchés. Autre conséquence sur le marché du travail: les nouveaux emplois seront encore plus concentrés qu’aujourd’hui autour des grandes métropoles.
La conclusion est évidente. Si nous ne voulons pas être dépassés, il faut dès maintenant anticiper les difficultés qui résulteront de ce bouleversement, tout en se préparant à profiter des perspectives d’un développement technologique à haute valeur ajoutée.
Notre pays ne doit pas se croire à l’abri. Grosso modo, une entreprise suisse sur trois éprouve des difficultés à recruter le personnel qu’elle recherche. Cette situation récurrente pourrait accélérer la robotisation de notre économie. Et il n’est pas certain que les robots se contentent de remplacer les travailleurs immigrés.
Selon les estimations de l’OCDE, 13 à 19% des adultes de notre pays sont illettrés. Environ 800 000 personnes ont un niveau de compétences trop faible en lecture et en calcul bien qu’elles aient suivi huit à neuf ans d’école obligatoire. Elles éprouvent des difficultés dans la vie quotidienne et professionnelle, même si la plupart d’entre elles ont, heureusement, un emploi. Dans l’économie actuelle, ces salariés ont cependant deux fois plus de risque que les autres de se retrouver au chômage. L’avenir qui s’annonce transformera ce risque en triste réalité si rien n’est fait pour changer en profondeur notre système d’éducation.
Il faut stopper l’illettrisme, qui est déjà un scandale aujourd’hui. L’école en tant que telle n’en est de loin pas seule responsable. Le problème réside plutôt dans la déliquescence de l’effort et du minimum de discipline indispensables à l’étude. Ce n’est pas le smartphone ni le niveau des réseaux sociaux – au fait, avez-vous des nouvelles de Nabilla? – qui vont assurer la formation intellectuelle et professionnelle des jeunes.
La meilleure réponse que nous pouvons apporter à cette nouvelle ère économique, c’est d’adapter la formation pour faire évoluer de nombreuses professions dans le commerce, les assurances, les banques, l’administration, les hôpitaux… Et de ne pas nous lasser, entreprises et collectivités publiques, d’investir dans la formation – y compris de base –, la recherche et l’innovation. Les robots arrivent. Ce n’est pas le moment de baisser les bras.
Olivier Feller