Comment surmonter la crispation occasionnée par le phénomène migratoire?

Alors que des enfants, des femmes et des hommes, estropiés et cabossés par la guerre, originaires de contrées lointaines et méconnues, éveillent nos peurs ancestrales, certains se démènent pour trouver des arguments afin de justifier la nécessité de se barricader, tandis que d’autres sont déçus de l’attitude de leur pays en contradiction avec sa culture de l’accueil brandie avec fierté, issue de la philosophie des Lumières et de ses illustres encyclopédistes.

De part et d’autre, les décideurs politiques restent figés face à des propositions peu solides et refusent les possibilités qu’offrent, bon gré mal gré, nos temps modernes. A l’instar des crises économiques récemment vécues, on peine à parler d’un «nouvel ordre» où la finance, pour paraphraser Jean-Marie Brandt, s’est substituée à l’économie, et ce «sans qu’il n’y ait eu aucun examen des causes profondes ayant conduit à cette situation».

Les événements migratoires qui frappent l’Europe depuis quelques mois appellent un urgent dépassement des idées reçues. Lequel me semble salutaire, possible et bénéfique pour toutes les parties.

Les temps modernes et le libéralisme contemporain peuvent fournir des pistes envisageables pour sortir du cynisme et de l’indolence ambiante qui empêchent toute production de sens.

Il s’agit de sortir de la crispation subjective et du déni sidéral qui frappe de plein fouet les consciences en Europe, comme à Genève. Crispation et déni provoqués par une globalisation et une mondialisation des flux matériels et immatériels, perçus comme inéluctables.

Selon Alain Caillé, depuis les années 1970, «il n’y a plus de corrélation entre croissance (du PIB) et sentiment de bien-être ou de bonheur», dans les pays occidentaux.

Ainsi, nous avons atteint actuellement un point paroxystique de dévalorisation des valeurs de l’homme, de la terre et de ses peuplements.

A ce stade, nous pouvons alors imaginer faire émerger une réappropriation des subjectivités et un changement vers un mieux «vivre ensemble».

Le paysage urbain dans lequel nous évoluons est marqué par une progressive célérité exponentielle de la vitesse (lire les analyses de Paul Virilio sur la question) et par des migrations tous azimuts de personnes et de marchandises. Aussi chacun vit-il avec le sentiment d’une constante «urgence permanente», comme l’a souligné le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa.

C’est pourquoi la cohabitation avec d’autres rythmes, d’autres lenteurs et d’autres cultures, dans l’expérience concrète du vivre ensemble, peut soudainement devenir un véritable atout. Qui réinvente les matrices identitaires et sociales. Comme elle peut aussi consolider et réinventer des matrices patrimoniales locales.

Dans cet état d’esprit, l’autre, le différent et l’immigré deviennent un alter ego réflexif positif qui mobilise le désir de réinventer et de réaffirmer son identité ainsi que son devenir présent. Au lieu de constituer comme c’est souvent le cas une «projection paranoïaque», pour emprunter le terme à Hanif Kureishi.

Il s’agit ici de réinvestir les grandes surfaces inoccupées (commerciales, industrielles et habitationnelles) du paysage urbain genevois, avec un nombre défini de personnes migrantes issues des catastrophes humanitaires en cours.

Il s’agit encore de combiner dans un seul module polyvalent espaces inédits d’habitat (lieux de résidence) et espaces de travail (ateliers et autres) ainsi que de mettre en place des projets facultatifs d’«aide au retour».

Des projets facultatifs d’«aide au retour» qui permettraient d’établir entre les personnes migrantes, la DDC et les autorités de migration compétentes des contrats de confiance, ouvrant des horizons d’espérance et de rêve de retour.

Ces personnes migrantes, une fois de retour chez elles, deviendraient alors, à leur tour, des «ambassadeurs d’espérance, de paix et du vivre ensemble».

Enfin, ce vivre ensemble, conçu sans angélisme mais, au contraire, avec beaucoup de professionnalisme, constituerait dans un bref laps de temps, un bouleversement majeur des coordonnées sociopolitiques actuelles.

Enfin, inédit dans la souffrance vécue des migrants, ce bouleversement constituerait pour eux un moyen de dépasser leur frustration et de se projeter et de croire aujourd’hui en un avenir meil­leur.

Miguel D. Norambuena, psychanalyste.

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