Comprendre la faillite malienne, sans angélisme ni cynisme

Trois questions valent d’être posées pour mieux comprendre la guerre au Mali et son issue.

La première: comment en est-on arrivé là? La décolonisation de 1960 n’a pas permis le développement économique, assise matérielle d’un Etat viable. Les mêmes qui s’accommodent du néo­colonialisme et préconisent des politiques libre-échangistes asymétriques sont des pompiers pyromanes cyniques qui versent des larmes de crocodile sur l’Etat malien «failli». Les organisations internationales ont imposé l’abandon des cultures vivrières au bénéfice de la production de coton aux fins d’insertion dans le marché mondial, alors que les puissants concurrents (Etats-Unis, Chine, Union européenne…) subventionnent leur industrie cotonnière et que des marchands spéculent sur les cours du coton. Dans son livre L’Etau , Aminata Dramane Traoré, l’ancienne ministre malienne de la Culture, décrit l’étranglement de l’Etat malien soumis aux conditionnalités du FMI, par suite l’appauvrissement de sa population. Elle fit la leçon inaugurale du cours d’été du Gipri en 2003. «La descente aux enfers a commencé vers la fin des années 70 avec la chute brutale des prix des produits tropicaux et la difficulté pour les pays exportateurs de faire face au service de la dette extérieure […]. Le FMI et la Banque mondiale sont entrés en jeu pour contraindre nos pays à l’austérité budgétaire.»

Plus récemment, les Etats-Unis ont formé les cadres de l’armée malienne, dont le putschiste Amadou Sanogo, qui devait précipiter l’invasion du nord du Mali par des «entrepreneurs de violence» (George Elwert) et autres narco-djihadistes. «Nous n’avons pas consacré le temps nécessaire aux valeurs et à l’éthique militaires», déclare le général Carter Ham, chef de l’Africacom, évoquant la formation dispensée au capitaine Sanogo.

Deuxième question: que fait, que veut la France? Le président français s’est prudemment gardé de se référer à la résolution 2085 de l’ONU, stipulant le «déploiement de la mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine». Le représentant de la Fédération de Russie à l’ONU a diplomatiquement déclaré que l’intervention française était «conforme à l’esprit de la résolution de l’ONU». François Hollande a évoqué le cadre bilatéral des accords militaires entre le Mali et la France, «la lutte contre le terrorisme» et le rétablissement de l’intégrité territoriale du Mali. Il aurait pu éviter d’ajouter que la France ne poursuivait aucun intérêt particulier. Tout Etat est fondé à défendre ses intérêts.

De facto, le Mali est dans la «zone d’influence» de la France; ses intérêts régionaux y sont politiques, militaires, économiques, culturels. Les relations inter-étatiques ne sont pas gouvernées par la philanthropie. Les exactions des «éléments terroristes», si elles semblent fonder l’emploi de la force pour les contrecarrer, ne sauraient suffire à justifier la rhétorique, intempestive, sélective, angélique des droits de l’homme. Il peut arriver que les grands principes rejoignent les grands intérêts, mais ils ne se confondent jamais. S’agit-il, en l’espèce, d’une division du travail ou d’une rivalité avec les Etats-Unis? Les deux sans doute. Que coûte l’intervention, en vies humaines et au budget de la France? La phase militaire initiale est la plus facile. Reste à voir comment se déroulera la guérilla que mèneront probablement les différents groupes armés non étatiques (et leurs alliés), qui couvrent cyniquement leurs affaires douteuses et leurs visées politiques sous la bannière de l’islam.

Troisième question: et après? Sauf dans les manuels de Nation Building, on ne construit pas un pays de l’extérieur par la force militaire. Il appartient aux peuples de construire leurs nations, l’indépendance de chacun résidant dans le libre choix de ses interdépendances. Le Mali a davantage besoin de conseillers agronomes, de bons gestionnaires, d’investisseurs que d’experts militaires. L’Afrique a besoin d’un développement équilibré, de partenariats dignes, pas d’aumône. Il lui faut «la volonté et le courage politiques dans les rapports avec les nations riches et les institutions internationales de financement», écrit encore Aminata Traoré. Le codéveloppement doit être autre chose que le supplément d’âme d’une politique d’immigration restrictive. C’est l’ensemble du modèle de développement (ou plutôt de maldéveloppement) qui est en cause, au travers de relations économico-politiques internationales publiques et privées, bilatérales et multilatérales. Tout en dénonçant la «Françafrique», François Hollande n’affiche pas l’intention de vouloir s’engager fermement dans cette voie novatrice d’un «développement global, endogène, intégré» (François Perroux).

Entre angélisme et cynisme, la voie semble étroite mais c’est la seule.

Gabriel Galice, vice-président du Geneva International Peace Research Institute

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