La nouvelle tombée vendredi dernier est catastrophique sur tous les plans. D’un côté, apprendre que des travailleurs de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (l'UNRWA) sont présumément impliqués dans les attaques commises le 7 octobre par le Hamas en Israël est très grave et extrêmement choquant. D’un autre côté, la suspension du financement de cette agence par 15 pays occidentaux alors même que la Cour internationale de justice déclare qu’il est plausible que le droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide soit violé ne l’est-elle pas tout autant ?
La privation de l'UNRWA des trois quarts de son budget, en pleine guerre à Gaza, est-elle vraiment un juste remède ?
L'UNRWA est l’une des organisations humanitaires affiliées à l’ONU qui travaillent actuellement à alléger la souffrance de la population gazaouie dans la guerre intense et indiscriminée qu’elle subit depuis octobre 2023. Elle constitue même, selon certains, l’autorité de facto à Gaza en ce qui concerne la fourniture de services essentiels et d’assistance humanitaire aux civils. Ainsi, ceux-ci sont dépendants de ce que l'UNRWA parvient à leur fournir. À ce titre, une réallocation partielle des fonds vers d’autres organisations humanitaires, comme annoncé par le Canada, est insatisfaisante.
Dès qu’elles ont été soulevées, les allégations à l’endroit de 12 des 28 000 travailleurs de l'UNRWA ont été prises très sérieusement par les Nations unies. Le commissaire général de l’Office, Philippe Lazzarini, s’est déplacé à New York vendredi pour rencontrer le secrétaire général des Nations unies en personne. C’est dire que cette crise n’est pas prise à la légère. Neuf des personnes soupçonnées ont immédiatement été mises à pied, et une enquête du Bureau des services de contrôle interne de l’ONU est en cours au sujet de ces allégations. Du point de vue organisationnel, un examen indépendant de l'UNRWA dans son ensemble a également été commandé.
Depuis vendredi, et malgré les mesures prises par l'UNRWA, les États-Unis, le Canada, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande, l’Islande, la Roumanie et l’Estonie ont décidé de suspendre leur financement à cette agence en attendant que la lumière soit faite sur cette affaire. C’est l’équivalent d’environ 850 millions de dollars en nourriture, en eau et en personnel humanitaire en moins à Gaza.
Sans ce financement, les activités de l'UNRWA à Gaza ne peuvent tout simplement pas continuer ; elles cesseront d’ici la fin février. Les conséquences des décisions de ces 15 pays, évidemment dénoncées par les organisations humanitaires présentes à Gaza et le secrétaire général de l’ONU, sont donc directes, immédiates et dramatiques.
Pendant ce temps, donc, les jours passent, mais la guerre à Gaza est toujours en cours, et la situation empire chaque jour. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, en date du 29 janvier 2024, près de 27 000 civils ont été tués, sans compter les milliers qui demeurent sous les décombres, non comptabilisés. En outre, plus de 65 000 civils ont été blessés, dans un territoire où le système de santé est écroulé, sous attaque, presque sans médicaments et matériel médical — 22 des 36 hôpitaux de Gaza sont complètement hors service. On signale que 65 % des habitations sont endommagées et 75 % de la population est déplacée, qui plus est dans des zones surpeuplées.
Les tentes de l'UNRWA, qui abritent une part importante de la population, accueillent actuellement quatre fois plus de personnes que leur capacité maximale le leur permet. Pire que tout, la totalité de la population est à risque imminent de famine.
Ce n’est pas le moment de couper une assistance humanitaire déjà largement insuffisante. Ne faisons pas la justice, ne faisons pas de politique sur le dos de la population gazaouie. Au nom des considérations d’humanité les plus élémentaires, le Canada et les autres pays occidentaux doivent rétablir leur financement de l'UNRWA, impérativement et sans délai.
Camille Marquis Bissonnette est professeure au département de droit de l’Université du Québec en Outaouais.