Concilier les gauches sur l’Europe, c’est possible

A gauche, les écologistes sortent vainqueurs des élections européennes. Leur bon score ne peut toutefois faire oublier ni le succès du nationalisme xénophobe porté par le Rassemblement national ni la faiblesse historique de la gauche fragmentée. Au total, les six principales formations issues de la gauche et du camp écologiste recueillent plus de 32 % des voix. C’est un résultat plus élevé qu’attendu. Et pourtant, jamais la première liste de gauche n’aura fait un score aussi faible aux européennes.

Ces derniers mois, il a été répété qu’une alliance entre les gauches et les écologistes n’était ni souhaitable ni possible. Pas souhaitable, car il s’agit d’élections européennes, à la proportionnelle. L’argument était entendable. Le prix à payer en représentants non élus n’en est pas moins élevé : la gauche aurait pu qualifier 7 eurodéputés de plus s’ils avaient été sur une liste unifiée. Mais une telle liste d’union aurait-elle été possible ? M. Jadot n’a-t-il pas répété que la gauche n’était pas son problème ? Mme Aubry n’a-t-elle pas dénoncé l’euro-béatitude des écologistes et des sociaux-démocrates ? Ceux-ci n’ont-ils pas dénoncé l’euroscepticisme des insoumis ? Alors, incompatibles, les gauches ? En réalité, au-delà des logiques d’appareil, les positions sont plus proches qu’on ne pourrait le croire ; en particulier sur le cœur du problème : l’Europe.

D’une part, les insoumis ont opéré un changement de discours depuis la présidentielle : il ne s’agit plus de quitter l’UE mais de ne pas appliquer des traités européens. C’est une évolution de taille, au moins sur le plan symbolique. D’autre part, les écologistes assument désormais la nécessité de les réviser. EE-LV a en effet proposé un traité qui ferait de la protection de l’environnement un principe supérieur à la concurrence libre et non-faussée. La proposition fait étrangement l’impasse sur la question du juste financement de la transition, mais a le mérite d’exister. Les socialistes et leurs alliés ont quant à eux proposé eux un «pacte finance-climat», qui n’est ni plus ni moins qu’une révision partielle des traités sur les questions monétaires, fiscales environnementales.

A gauche, le débat ne s’articule donc plus autour de la question sortir ou rester dans l’UE, mais autour de la stratégie la plus efficace pour dépasser le cadre institutionnel. Ecologistes et socialistes n’imaginent pas avancer sans l’aval des institutions de l’Europe. Cette position est pour le moins difficile à défendre compte tenu des rapports de force au Conseil et au Parlement européens. Sur un domaine aussi fondamental que l’évasion fiscale, tout progrès digne de ce nom sera bloqué par les règles de vote au Conseil. Les insoumis ont esquissé une approche alternative, visant à signer des traités sociaux et fiscaux avec les pays qui le souhaitent. Mais ils n’ont pas avancé de propositions juridiques et institutionnelles dans ce sens. Pour financer les services publics, les investissements dans les énergies renouvelables, quels impôts sur les multinationales et les plus grandes fortunes faudra-t-il prélever ? Quelle institution sera chargée d’en débattre ? Sans proposition concrète, les discours les plus radicaux accouchent souvent des compromis les plus tièdes.

Résumons. Sur la question européenne, les principaux partis de gauche portent chacun un bout de la solution, qu’il s’agit désormais d’assembler. Dans un tel contexte, comment avancer ? Dans Changer l’Europe, c’est possible (Points, 2019), co-écrit avec M. Bouju, A.-L. Delatte, T. Piketty, G. Sacriste, S. Hénette, et A. Vauchez, nous mettons une proposition sur la table, qui pourrait (soyons optimistes !) créer un nouveau point d’équilibre. Il s’agit d’un plan concret pour lutter contre l’évasion fiscale, tout en finançant les efforts pour la justice sociale et climatique. La nouveauté du plan est de dépasser les institutions européennes actuelles, sans pour autant en sortir, afin d’avancer avec autant de pays qui le souhaitent vers plus de justice fiscale et écologique. S’il n’a pas été repris pendant la campagne des européennes, le projet a été soutenu par Jadot et Faure en décembre dernier (et depuis par plus de 100 000 citoyens). Le fait que ces deux chefs de partis l’aient défendu est en soi intéressant puisque la logique de dépassement des institutions européennes qui y est proposée est compatible avec les propositions portées par la gauche de la gauche.

Au-delà des logiques politiciennes et des querelles d’ego, les positions des gauches sur l’Europe semblent donc pouvoir converger. Bien sûr, un tel rapprochement ne pourra se faire que si militants et sympathisants s’en font l’écho. A ce sujet, la tentation de l’aventure solitaire séduira sans doute certains cadres écologistes. Mais ne répétons pas les erreurs du passé en pensant préparer l’avenir : sans union large, l’écologie sociale demeurera électoralement minoritaire. Les partisans d’une démocratie ethnique continueront leur marche vers le pouvoir, les services publics continueront de s’éroder et le climat finira bien par s’emballer.

Par Lucas Chancel , enseignant à Sciences-Po et co-directeur du Laboratoire sur les inégalités mondiales.

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