Condamner le terrorisme islamiste n’est pas suffisant

Je me souviendrai toute ma vie de ma première réaction quand j’ai appris la nouvelle des attentats du 11-Septembre. De la joie. Malgré moi, durant quelques brèves secondes, de la joie. Une explosion de joie. Les musulmans depuis trop longtemps dans la chute, la déchéance, étaient enfin vengés. L’Occident surpuissant allait enfin goûter à la même amertume, la même peur, la même terreur que nous, que moi.

Je me suis très vite rendu compte de mon erreur. Terrible et terrifiante erreur. Les terroristes islamistes qui avaient commis ces attentats spectaculaires et presque irréels n’avaient pas seulement pour ennemis les Américains et les Européens mais également des millions de simples musulmans comme moi, culturellement attachés à l’islam et ne se reconnaissant, ni dans les paroles de ceux qui le représentent officiellement, ni dans les gestes barbares de ceux, des ignorants, qui ne cessent d’appeler au djihad.

D’où me venaient alors cette joie et cette méprise ? Les musulmans ont besoin, aujourd’hui plus que jamais, d’être courageux et d’arrêter de toujours blâmer les autres pour les malheurs qui s’abattent sur leur tête. Il est temps de se lancer dans une véritable autocritique : sortir de ce tunnel étroit et tellement dangereux où tout est systématiquement vu et jugé à partir d’une vision figée de la religion et de l’Histoire, où tout est nié au service du collectif, le groupe, Dieu.

Il faudra être honnête et reconnaître ceci : plus que le terrorisme islamiste, c’est malheureusement le matraquage de discours religieux vides de sens, imposés à tous par ceux qui sont au pouvoir, qui conduit aux extrémismes. Empêcher la raison de s’installer pour de vrai dans la vie quotidienne des musulmans, voilà la vraie catastrophe.

UN VRAI CRIME

Les maintenir dans l’ignorance des transgressions et de l’esprit critique libre qui ont été possibles jadis dans cette partie du monde est un vrai crime. Continuer à se servir de la religion pour accentuer l’asservissement des peuples, les écarter du centre, leur répéter qu’ils ne sont rien par rapport au ciel, rien par rapport à celui qui gouverne et possède pour lui seul les richesses, tout cela est plus que grave. Tout cela dure depuis des siècles. Et nous amène à la situation actuelle où, dans les cœurs, tout est confusion, tout est reporté pour je ne sais quel hypothétique lendemain (le Paradis ?). Les désirs d’aller se faire exploser ailleurs pour défendre sa foi musulmane viennent de là. Y compris en moi.

D’où cette joie extrêmement triste et totalement inacceptable que j’ai d’abord ressentie en moi lors du 11-Septembre. Quelque chose dans mon corps et mon esprit était encore sensible aux discours, officiels et affligeants, qui tournent ostensiblement le dos à la pensée libre, inspirante, inventée il y a quelques siècles par des grands savants arabes comme Ibn Khaldoun et Averroès. « Moi aussi, je dois défendre l’islam, faire le djihad ! Ma religion a besoin de moi. Il faut se sacrifier pour elle, pour sa gloire… Les Impérialistes doivent payer… » Je suis sûr de ne pas être le seul musulman à avoir trouvé dans sa tête ces phrases toutes prêtes à ce moment-là.

Loin de moi, ici, toute idée d’innocenter l’Occident. Bien au contraire. Nous savons tous sa responsabilité dans les tragédies que nous connaissons dans ce monde postcolonial. Nous savons tout aussi bien que l’islamophobie est bien réelle. Mais cette lucidité ne m’aveugle pas pour autant. J’ai l’intime conviction que les musulmans ne peuvent plus reculer. Ils n’ont plus le choix.

DIALOGUE SURRÉALISTE

Condamner, encore et encore, les actes des terroristes islamistes (en Irak aujourd’hui, en Afghanistan hier) n’est tout simplement plus suffisant. D’une part, parce que, à chaque fois, les mêmes mots reviennent en boucle et finissent par ne plus rien signifier. D’autre part, cela nous entraîne malheureusement dans un dialogue surréaliste, un show hypermédiatisé, avec les islamistes qui toujours en sortent vainqueurs. Et, enfin, ces condamnations nécessaires servent aussi ceux qui détiennent le pouvoir dans le monde musulman et leur permettent de justifier (voire de légitimer) de nouveau leur oppression, leurs discours religieux aliénants qui arrêtent la marche vers une libération, au lieu de l’encourager.

« Not in my name », oui. « Pas en mon nom », oui et oui. Mais il faut plus. Il faut aux musulmans désormais exiger plus, d’eux-mêmes et de ceux qui les emprisonnent. Voilà où on en est aujourd’hui. Et c’est dans ce contexte que le « printemps arabe » est apparu il y a quatre ans. Des jeunes audacieux, des héros pour moi, ont osé sortir dans les rues, crier fort, faire tomber le mur de la peur, virer certains dictateurs et, sans jamais se référer aux islamistes, tenter de redéfinir les identités arabes et musulmanes.

Malgré tout ce qui s’est passé depuis de décevant et de tragique, l’esprit révolutionnaire de ce mouvement historique est quelque part encore vivant dans le monde arabe. J’y crois vraiment, sincèrement. Des « faucons », des milliardaires et des dirigeants arabes se sont ligués contre ces jeunes, contre cette émancipation. Ils ont financé (et continuent de le faire) les terroristes. Créer plus de confusion dans les esprits arabes les arrange : il en va de leur survie. Depuis quelques mois, on parle d’« automne arabe ». Ce cynisme, ce désespoir et ce fatalisme me choquent et me révoltent. Profondément.

Comme tous les autres sur la planète Terre, les Arabes et les musulmans vivent au XXIe siècle et non pas au Moyen Age. On ne peut plus laisser de nouveau aux terroristes islamistes tout l’espace libre où ils veulent nous enterrer tous vivants. Il faut résister à ce coma et à cette mort vers lesquels on nous entraîne.

Abdellah Taïa , Ecrivain et réalisateur marocain. Il est lauréat du prix de Flore 2010 pour « Le Jour du roi » (Seuil)

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