Conférence sur le climat : à Lima, il faut aller plus loin !

La conférence de Lima est la dernière grande étape dans le marathon diplomatique qui s’achèvera avec le rendez-vous Paris-climat de décembre 2015. Elle a été précédée d’effets d’annonce venant des puissants de ce monde : accord bilatéral Chine-Etats-Unis sur le climat annoncé en grande pompe par les deux présidents à Pékin ; mention de la négociation climatique dans le communiqué final du G20 tenu en Australie. Les initiatives semblent par ailleurs fleurir autour de l’« agenda des solutions », consistant à empiler les projets remontant des territoires, des entreprises et de tout acteur prêt à s’engager en faveur du climat. La voie serait-elle en train de se déblayer pour un accord climatique ambitieux pouvant être signé à Paris en 2015 ?

N’allons pas trop vite en besogne et tirons les bonnes leçons du passé. Les négociations climatiques conduites dans le cadre des Nations unies ont été amorcées par la signature de la Convention climat en 1992, ratifiée maintenant par plus de 190 pays. Depuis plus de vingt ans, ces pays se réunissent chaque année dans ce qu’il est convenu d’appeler la « conférence des parties » où fut notamment signé le protocole de Kyoto en 1997 et l’accord politique de Copenhague en 2009. Pour quels résultats ? Comme le rappelle le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les émissions mondiales de gaz à effet de serre se sont accélérées depuis 2000, atteignant un rythme jamais vu depuis 1970.

Alors que les émissions liées à l’agriculture età la forêt ont été stabilisées, celles liées à l’énergie ont rebondi en raison du retour en grâce du charbon parmi les sources primaires d’énergie et de la montée en régime des économies émergentes, qui tirent de plus en plus sur les sources énergétiques fossiles.

D’où vient ce grand écart entre les intentions affichées et les résultats ? De l’insuffisante attention portée aux dimensions économiques du problème. Les dommages et les risques du changement climatique ne sont pas pris en compte dans les valeurs qui s’échangent chaque jour sur les marchés. Les prix du charbon, du pétrole et du gaz reflètent les raretés relatives de leur stock en terre et les contraintes de leur transport et distribution. Ils n’intègrent pas la rareté de l’atmosphère, cette fine pellicule entourant notre planète, qui joue, via l’effet de serre, un rôle essentiel dans l’équilibre du climat.

Risques majeurs

Or il y a bien trop d’énergie fossile sous nos pieds par rapport à ce que peut absorber l’atmosphère sans nous exposer à des risques majeurs. C’est pourquoi il est urgent d’intégrer une nouvelle valeur dans l’économie : le prix du carbone qui doit s’ajouter aux valeurs s’échangeant spontanément sur les marchés pour faire payer à chaque émetteur de CO2 le coût des dommages climatiques associés à ses rejets.

En l’absence d’une telle tarification internationale du carbone, des progrès apparents en matière de réduction d’émission peuvent être illusoires. A la suite de la révolution des gaz de schiste, les Etats-Unis ont par exemple commencé à substituer du charbon par du gaz dans leurs centrales électriques. D’où la réduction de leurs émissions de CO2 observée depuis quelques années. Un progrès pour le climat ? Le charbon rendu disponible ne reste pas dans les mines américaines, mais est en partie exporté au Japon, en Chine et jusqu’en Allemagne ! A l’échelle globale, il n’y a donc pas substitution du charbon par du gaz, mais addition d’une nouvelle source fossile aux énergies déjà utilisées. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait un prix du carbone qui renchérisse suffisamment le charbon pour que son exploitation ne soit plus rentable.

Plus de vingt ans d’expériences permettent aux économistes d’indiquer comment s’y prendre pour introduire la valeur du carbone dans l’économie, soit via la taxation, soit via des marchés de permis. L’introduction d’une telle valeur carbone, pérenne et universelle, garantit un système efficace et transparent incitant chacun à intégrer dans ses choix leur impact sur le bien-être des générations futures.

La difficulté résulte dans le passage à l’acte car l’introduction d’un prix du carbone, à l’échelle internationale comme à l’intérieur d’un pays, provoque des effets importants sur la distribution des revenus. Une avancée majeure à Paris serait de coordonner les actions existantes de tarification du carbone pour progresser d’ici à 2020 vers un marché transcontinental du carbone. Cela requiert une gouvernance très forte, indépendante des multiples lobbys, pour assurer le bon fonctionnement de ces marchés dans le temps long.

Si la conférence de Paris se contente d’enregistrer les déclarations d’intention des grands de ce monde et la pile des projets émanant de l’agenda positif, il y aura beaucoup de mousse médiatique mais pas d’inflexion dans nos trajectoires d’émission de gaz à effet de serre. Ce qui changerait la donne, ce serait une réelle avancée sur les instruments économiques et la tarification du carbone. Il reste à peine plus d’un an pour la réaliser.

Christian Gollier est directeur de la Toulouse School of Economics (TSE), Pierre-André Jouvet est professeur à l’université Paris-Ouest Nanterre et membre de la Chaire Economie du climat (CEC), Christian de Perthuis est professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine et membre de la CEC, Jean Tirole est président de la TSE et Prix Nobel d’économie, qu’il recevra mercredi 10 décembre.

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