Contre la déflation, augmentons les salaires

L’inflation est à – 0,3 % en glissement annuel, en France, sur un an ; elle est de – 0,3 % en Allemagne également. En Europe elle est de – 0,5 %. La Grande-Bretagne est à plus 0,5 %, en attendant d’être dans le négatif au cours de l’année. Les Etats-Unis sont à – 0,2 % et la Chine est à + 0,8 % alors qu’elle a longtemps été plus proche des 10 %.

Cette tendance est générale. Elle peut devenir dangereuse si elle se prolonge trop longtemps, en créant une spirale déflationniste : on anticipe la baisse des prix, ainsi on attend pour acheter, ce qui renforce la baisse de la demande, puis de nouveau la baisse des prix et la récession enfin. Il faut créer des anticipations de croissance du revenu disponible. Pour qu’elle ait un effet permanent sur la consommation, cette anticipation de croissance du revenu disponible doit être durable.

Depuis le commencement de la crise en 2008, la baisse des revenus exprimés en produit intérieur brut par habitant s’est généralisée en Europe : – 2 % en France, – 1,5 % en Grande-Bretagne. Parmi les grands pays, seuls les Etats-Unis et l’Allemagne font mieux, avec + 3.5 % pour la seconde et un peu plus de 10 % pour les premiers, même si le revenu du salaire horaire américain est resté quasiment inchangé sur trente ans.

Pour contrebattre cette tendance, il est nécessaire que les gens aient l’impression que leur pouvoir d’achat va augmenter durablement, et que, par ailleurs, leur emploi soit plus sûr. La hausse du pouvoir d’achat, si elle est durable et annoncée comme telle, peut rendre confiance aux consommateurs, qui craignent depuis plusieurs années une baisse de leur niveau de vie. Cette hausse du pouvoir d’achat et des dépenses, dans un deuxième temps, consolidera l’emploi et permettra de diminuer les craintes de chômage. Ces deux clés sont essentielles pour combattre la déflation et la récession qui peut s’en suivre.

Smicards et fonctionnaires représentent 30 % à 40 % des salariés

Il faut donc concevoir une politique salariale au niveau européen, à travers une hausse concertée, mais différenciée, des smic nationaux et des salaires des fonctions publiques de chaque Etat européen. Ajoutés l’un à l’autre, « smicards » et fonctionnaires représentant 30 % à 40 % des salariés dans chaque pays. La hausse de leur revenu aura donc un effet d’entraînement sur la hausse de l’ensemble des salaires des secteurs privés. Cela créera un nouveau climat où chacun considérera ces hausses comme normales. Elles seront intégrées dans les calculs économiques d’anticipation.

L’argument qui consiste à dire que les économies nationales n’en ont pas les moyens n’est pas valide, et même inepte, dans la mesure où 2014, très mauvaise année sur le plan économique, a connu une hausse des salaires réels en France de presque 1,5 % en glissement. C’est la preuve que c’est réalisable, même dans de mauvaises conditions.

Cependant, afin de corriger les inégalités de compétitivité entre pays de la zone euro et de relancer en même temps les économies, ces hausses doivent être différenciées en fonction de la compétitivité de chaque pays.

Par exemple, en Allemagne, une hausse de salaire de 3,4 % en 2015 a été décidée par les partenaires sociaux de la métallurgie en février. On pourrait décider en France une hausse de 1,5 % : avec une inflation de – 0,5 %, la hausse du pouvoir d’achat serait de 2 %. Elle resterait cependant inférieure à celle observée en Allemagne et corrigerait de 2 % l’écart de compétitivité entre les deux pays.

Une négociation annuelle en Europe

Cette situation ne doit plus résulter d’un heureux état de fait, mais doit être concertée entre les pays de la zone euro. Il faudrait une négociation annuelle en Europe sur les hausses des salaires minimum et des salaires des fonctions publiques, dans un contexte qui tienne compte de la compétitivité de chacun.

Cette grande messe annuelle remplacerait les ajustements monétaires du passé. Mais elle sera plus juste et plus douce que les dévaluations brutales. Elle sera surtout infiniment moins rude et cruelle que les baisses de salaires compétitives qui ont été imposées à la Grèce, à l’Espagne et à d’autres pays depuis 2008.

Cette concertation salariale deviendra rapidement utile, voire indispensable à une croissance harmonieuse de l’Europe. Notre compétitivité globale n’en sera pas affectée dans la mesure où l’ajustement de l’euro à la baisse est possible si nos prix et nos salaires augmentent trop vite par rapport au reste du monde, ce qui est d’ailleurs peu probable. N’oublions pas, par ailleurs, que la grande majorité de nos débouchés sont en Europe.

Cette politique, si elle réussit, finira par relancer la demande. Cette relance fera baisser le taux d’épargne, et l’investissement finira par reprendre. Penser que l’investissement peut à lui seul guider le retour à la croissance est une naïveté. Il ne peut jamais être que consécutif à une hausse de la demande, qui ne peut être qu’européenne en raison du caractère solidaire de nos économies.

Le progrès technique reprendra grâce à cette hausse de la demande, car elle fera travailler l’imagination des entrepreneurs. Le cercle vertueux peut être réamorcé. L’économie est un circuit, les politiques d’austérité excessives, qui assèchent la demande, ont tendance à l’oublier. C’est une erreur que nous payons très cher, et qui peut à la longue être fatale.

En même temps qu’une indispensable politique de l’offre combinant flexibilité du marché du travail et baisse des charges, nous pouvons emprunter d’autres chemins, notamment celui de la concertation. L’Europe est une entité économique, toute politique économique doit être conçue dès le départ au niveau européen !

Didier Voydeville, Directeur de LT Strategic Advisor Ltd, société de conseil en stratégie financière.

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