COP 21 : curieux désaccords entre experts

Alors que la COP 21 voit sa préparation diplomatique s’intensifier, avec une mobilisation qui va jusqu’au Vatican, une curieuse dichotomie sépare le flux de rapports experts sur le futur des énergies, et donc sur notre futur climatique. Curieuse, mais probablement révélatrice.

Il serait facile, mais trompeur, de les classer en optimistes et pessimistes. Parmi les premiers, se trouvent rien moins que la Banque mondiale, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ou le prix de la banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel, Nicholas Stern. Parmi les seconds l’EIA, l’Energy Information Administration, une structure gouvernementale des Etats-Unis. Le cabinet conseil Enerdata. Ou le Grantham Institute de l’Imperial College de Londres. Que du respectable des deux côtés. Et pourtant, les chants qu’ils entonnent détonnent.

Les premiers nous racontent l’histoire d’une humanité résolvant son problème climatique. Celui posé ainsi par les scientifiques : dépasser une élévation de 2 °C de la température moyenne de la planète depuis la révolution industrielle provoquerait une transformation trop violente et trop rapide de notre environnement pour que ses conséquences demeurent «gérables» par la technologie et l’organisation sociale. Un objectif traduit en tonnes de gaz à effet de serre, surtout le CO2 issu du carbone fossile - charbon, gaz et pétrole - à ne pas émettre. Les arguments des seconds inclinent à penser que l’histoire est trop belle pour être vraie.

Nicholas Stern affirme que la Chine pourrait atteindre son pic d’émissions dès 2025. Mais, lorsqu’on demande aux experts d’Enerdata - qui comptent les centrales une à une - ce que le géant asiatique prépare, leur réponse est précise. D’ici à 2030, 500 GW de centrales à charbon sont en construction, planifiées ou en projet. Soit huit fois le parc nucléaire français. La Banque mondiale, dans de récentes «Policy Notes» assure qu’il est possible de respecter l’objectif des 2 °C sans même recourir à la capture et au stockage du CO2 sorti de centrales électriques ou d’usines. Or, selon une étude du Grantham Institute, la capture et le stockage du CO2 sorti de centrales électriques doit jouer un rôle crucial si l’Union européenne veut réduire ses émissions comme elle le promet. L’AIE affirme qu’en supprimant les subventions aux énergies fossiles et en interdisant la construction de centrales à charbon, le chemin vers la maîtrise de nos émissions est ouvert et nous mènera à bon port. Un optimisme en contradiction avec les projections de l’EIA, certes, réalisées sans tenir compte de futures politiques de restriction des émissions de CO2. Mais elles disent que le mix énergétique des Etats-Unis sera, en 2040, un peu supérieur en volume à 2014, et composé à 33% de pétrole, 18% de charbon, 29% de gaz, soit 80% d’énergie fossile. Et son mix électrique à 65% composé de gaz et de charbon. Alors que l’objectif des 2 °C exige que les Etats-Unis réduisent de 80% leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

Le désaccord, entre ces institutions respectables, n’est guère explicable par l’incompétence des uns et la clairvoyance des autres. Que pourrait-il bien révéler ? Que les institutions, ou les personnalités, les plus proches du discours politique se sentent «obligées» de produire des documents en ligne avec l’objectif affiché par les gouvernements. Alors que lesexperts plus libres de parole, et plus sensibles au poids du réel, assènent des chiffres montrant que le chemin permettant d’échapper au péril climatique n’est pas (encore) ouvert. Une interprétation possible. Mais il en est une autre, révélatrice du danger qui guette.

Si le discours optimiste semble trop loin du réel, c’est peut-être parce qu’un discours réaliste - non pour accepter le dérapage climatique, mais pour limiter les émissions de CO2 - suppose un prix élevé. Est-ce possible d’atteindre l’objectif des 2 °C sans mise en cause du modèle consumériste, boosté par le matraquage publicitaire et l’exemple des riches ? Sans revenir sur l’explosion des échanges économiques mondiaux ? Peut-être à condition que les pauvres du monde acceptent (ou soient contraints) de le rester. Ou qu’un miracle technologique survienne. Deux paris hasardeux. Et l’une des raisons pour lesquelles la COP 21 ne tracera pas tout le chemin vers la sortie de l’impasse climatique.

Sylvestre Huet, journaliste à «Libération».

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