COP 21 : l’autorégulation ne suffira pas

L’humanité n’attend pas simplement un accord contraignant mais qu’également, les Etats soient eux-mêmes contraints de répercuter leurs obligations sur les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, à savoir les entreprises privées. Or, 90 % d’entre elles sont responsables de 60 % de ces émissions. Ainsi, les engagements qui seront consignés dans le traité n’auront de portée que s’ils sont traduits dans la loi, de sorte que les manquements des acteurs privés puissent devenir justiciables.

Le scandale Volkswagen est riche d’enseignements, pour le pire et le meilleur. Pour le meilleur, car il révèle que les systèmes les plus cyniques peuvent être confondus par une société civile «sentinelle». Pour le pire, car il démontre que le green washing est trop souvent un instrument pour enrôler les consommateurs dans une consommation éthique, alors même que les produits vendus ne le sont pas.

Un groupe de travail, réuni au Collège de France sous la direction de Mireille Delmas-Marty, a rédigé 12 propositions juridiques pour la conférence de Paris sur le climat (1) qui tendent à responsabiliser les Etats et les entreprises.

Ces propositions mettent en évidence le paradoxe de la COP 21 : aboutir à un accord contraignant pour les Etats alors que, parallèlement, les entreprises usent universellement de manœuvres afin d’essayer d’échapper aux normes contraignantes et, par conséquent, au contrôle du juge.

L’un des enjeux essentiel est donc d’adopter un texte, alors même que les entreprises ne sont pas directement soumises au régime international du climat.

Cette distorsion est en soi une source d’impunité. L’engagement quasi schizophrénique de différents acteurs économiques dans la lutte contre la hausse des températures et le dérèglement climatique, y compris en finançant la COP 21, n’est pas sans contradiction et témoigne d’une capacité de green washing qui ne se décourage jamais. Certains groupes risquent de profiter de cette tribune pour se reverdir sans complexe et «se racheter une éco-conduite».

Le traité international à venir, si vertueux soit-il, sera impuissant pour combattre de façon efficiente ces doubles discours surtout si l’on continue naïvement à penser que l’autorégulation prônée par les entreprises en matière climatique sera suffisante pour répondre aux si lourdes menaces qui pèsent sur notre planète.

Les entreprises épousent, de façon de plus en plus sophistiquée, des normes issues de la responsabilité sociale et environnementale, des normes techniques ou de compensation carbone ou des accords sectoriels.

Comme le souligne Luca D’Ambrosio, coauteur des propositions, ces initiatives ne sont pas à négliger mais la prolifération de l’autorégulation peut progressivement aussi aboutir à une privatisation des normes, incompatibles à terme avec l’idée même d’une contrainte juridique. D’où la nécessité de garantir le suivi et le contrôle à l’échelle internationale de ces initiatives d’autorégulation (proposition 4).

Enfin, si l’autorégulation des entreprises était synonyme d’efficacité, les citoyens du monde s’en seraient aperçus. Ces derniers ont encore en mémoire l’autorégulation affichée par les grandes banques de la planète en 2008, lors de la crise financière qui a failli faire basculer toutes nos économies. De la même manière, on sait ce qu’il est advenu ou ce qu’il en est des engagements environnementaux s’agissant de Volkswagen.

Il faut donc pénaliser les entreprises qui ne respectent pas leurs objectifs de réduction. Ceci suppose le renforcement de l’arsenal juridique de chacun des Etats, la mise en œuvre de pénalités lourdes, dissuasives (proposition 5), le renforcement de la responsabilité des sociétés mères et donneuses d’ordre (proposition 8).

De ce point de vue, les atermoiements du Sénat, il y a encore quelques jours, qui a différé, à nouveau, l’adoption d’une proposition de loi visant précisément à mieux responsabiliser les entreprises s’agissant du comportement de leurs filiales et de leurs fournisseurs n’est pas, et c’est une litote, de bon augure. Ceci suppose aussi d’aménager l’accès des victimes individuellement et collectivement à la justice.

L’intégration des enjeux sociaux environnementaux dans le droit international économique - sur laquelle portent les propositions rédigées par Caroline Devaux est évidemment un chantier à long terme, complexe. Elle exigera «d’intégrer dans toutes les composantes du droit de l’OMC, des clauses sociétales qui tiendraient lieu de passerelle juridique entre les disciplines de telles clauses, viendraient consacrer les enjeux sociaux et environnementaux comme les intérêts légitimes protégés par l’OMC» (proposition 10).

Il s’agira aussi de réfléchir aux nécessaires mesures pour encourager, en matière d’investissement étranger, les Etats hôtes à invoquer tout manquement aux droits de l’homme devant les tribunaux arbitraux afin de réduire, voire de priver, les investisseurs de leur droit à la protection. Il n’y aura pas de régulation des plus grands pollueurs de la planète si le droit d’arbitrage continue à méconnaître l’obligation des entreprises à respecter leurs engagements s’agissant de lutte contre le réchauffement climatique.

L’enjeu n’est rien de moins que de faire en sorte que l’accroissement des responsabilités des acteurs économiques privés ne se fasse jamais au détriment des citoyens ni de celui des Etats, lesquels sont responsables en première ligne de la protection des droits de l’homme.

Les enjeux de la COP 21 sont immenses. Les acteurs publics sont sommés par les citoyens d’apporter une réponse à la hauteur des défis. Cette réponse exigera, une fois les applaudissements convenus, de répondre à un autre défi essentiel : celui de mettre un terme à la fiction de la seule autorégulation, par la contrainte s’il le faut, mais aussi d’imposer aux entreprises d’intérioriser dans leurs arbitrages l’exigence du long terme - c’est la seule qui rime avec la défense de l’intérêt général - si violemment en contradiction avec ce qui nous saute aux yeux, la tyrannie du court terme et de l’hyperprofit.

William Bourdon, avocat, président de Sherpa.


(1) Voir Mireille Delmas-Marty, Luca D’Ambrosio, Kathia Martin-Chenut, Caroline Devaux : le Dérèglement climatique : un défi pour l’humanité. Douze propositions juridiques pour la conférence de Paris sur le climat. Cf. site du Collège de France.

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