COP 21: on a oublié d’inviter l’océan !

Un banc de fusiliers tricolores, archipel des Tuamotu, Polynésie française. Photo: VIGNAUD Thomas. CNRS Photothèque
Un banc de fusiliers tricolores, archipel des Tuamotu, Polynésie française. Photo: VIGNAUD Thomas. CNRS Photothèque

C’est à peine croyable, et pourtant… l’océan, qui couvre 70 % de la surface du globe, qui absorbe 25 % du CO2 émis chaque année par l’homme dans l’atmosphère, et 90 % du surplus de chaleur dû à l’effet de serre, n’est même pas au programme des discussions de la vingt et unième conférence des parties (COP 21) qui débutera à Paris, le 30 novembre. Les quelque 200 délégations qui y participeront, les milliers de décideurs et de politiques qui, je l’espère, prendront en cette fin d’année les décisions qui conviennent pour nous assurer un avenir viable sur la Terre ferme de notre planète ont-ils conscience que l’océan concentre 50 fois plus de carbone que l’atmosphère, et que sa capacité de stockage de la chaleur est bien plus efficace que celle des continents ? N’ont-ils pas envie de savoir jusqu’à quand cet immense réservoir de chaleur, cette fameuse pompe à carbone sera efficace ? Et imaginent-ils une seconde les conséquences sur le climat et sur la viabilité de la Terre si jamais le système océanique cessait de fonctionner ? Car, si tout ce que la mer emmagasine était déversé dans l’atmosphère, ce n’est pas 2 °C d’élévation de température que l’on aurait, mais certainement dix fois plus. Oui, heureusement que l’océan est là pour modérer les ardeurs des aléas du climat.

L’océan aussi est en train de changer

Voilà pourquoi, la Plateforme océan et climat, associée à de nombreux acteurs nationaux et internationaux, tirera la sonnette d’alarme le 8 juin, à l’occasion de la Journée des océans à l’Unesco. Une lettre ouverte sera publiée et une pétition lancée sur Change.org afin que les décideurs ouvrent enfin les yeux sur le rôle primordial des eaux océaniques dans la régulation climatique et sur l’impact du réchauffement de l’atmosphère. L’occasion de dire haut et fort ce que l’on sait déjà avec certitude, mais également de pointer ce que l’on ignore encore, et ce qui reste à faire. Car l’océan aussi est en train de changer. On le sait, le réchauffement de l’atmosphère entraîne mécaniquement celui des eaux salées. Résultat : l’océan se dilate et la mer monte, et ce d’autant plus vite que la fonte des glaces s’accélère. Les modèles envisagent une hausse d’un quart de mètre dès la fin du siècle, avec un maximum de plus de 80 centimètres. Mais on ignore encore les conséquences locales et les variabilités de ces phénomènes, et reste à scénariser leurs conséquences sur les zones littorales et leur habitabilité : érosion, submersion, affaissement, voire disparition des îles.

Les petits archipels, tel celui des San Blas, au Panama, sont particulièrement menacés par la hausse du niveau des eaux due au réchauffement climatique.
Les petits archipels, tel celui des San Blas, au Panama, sont particulièrement menacés par la hausse du niveau des eaux due au réchauffement climatique.

Ce n’est pas la seule conséquence du réchauffement sur le plus grand écosystème terrestre, celui des océans. Un tiers des espèces marines recensées sont abritées par les récifs coralliens. Or, au-delà d’une valeur seuil, un degré de plus suffit à provoquer le blanchissement des coraux et la disparition potentielle des récifs ! On estime ainsi que 50 % d’entre eux pourraient disparaître à l’horizon 2050, ce qui aura des conséquences directes sur la subsistance d’un demi-milliard de personnes dans le monde. Autre risque important : la hausse de nos rejets en CO2 entraîne une acidification des mers qui menace les écosystèmes marins. Enfin, et toujours à cause des activités humaines, les dead zones, des zones ou l’oxygène disparaît, qui menacent d’asphyxie instantanée tout être vivant qui a le malheur de les traverser se multiplient. En réalité, les impacts réels du changement climatique nous restent en grande partie inconnus. Mais il y a des bonnes nouvelles, les résultats de la première grande expédition du XXIe siècle du projet Oceanomics devraient nous aider à y voir plus clair. Pour la première fois, tous les habitants microscopiques de la surface des mers ont été inventoriés à partir d’un bateau à voile, en utilisant les méthodes les plus modernes. L’état de santé de l’écosystème planctonique va désormais pouvoir être suivi, et cette bibliothèque est à notre disposition pour en savoir plus sur l’évolution de la « pompe à carbone » biologique et, plus généralement, sur la réponse du vivant marin aux variations climatiques.

Une hausse importante de la température des eaux provoquerait inévitablement le blanchiment des magnifiques coraux de l’atoll polynésien de Fakarava.
Une hausse importante de la température des eaux provoquerait inévitablement le blanchiment des magnifiques coraux de l’atoll polynésien de Fakarava.

Il faut mettre l’océan au centre des stratégies environnementales

Le Grenelle de la mer, conduit de 2009 à 2012, a identifié des priorités de société. Il s’est ensuivi des regroupements divers pour mettre l’océan au centre des stratégies environnementales, autour de structures nationales comme le Conseil national de la mer et des littoraux. Les scientifiques ont travaillé, les acteurs de la mer ont proposé, la haute mer a été invoquée… et, chaque fois, la réponse a été la même : la mer, oui mais laquelle ? La mer est partout, et donc nulle part, et surtout jamais mentionnée. À croire que l’océan est trop grand, trop abstrait, trop lointain pour être identifié par nos sociétés : on reste au bord. Et pourtant, nous nous agglutinons près des côtes l’été et, dans une décennie, la bande littorale accueillera les deux tiers de la population mondiale. Et pourtant, 90 % du commerce mondial passe par la mer.

Sommes-nous donc aveugles au point de renoncer à ce qui est l’un de nos atouts majeurs, cet espace qui fait de la France le deuxième territoire maritime du monde ? Sommes-nous donc si timorés, si peu aventuriers que nous n’osions mettre un pied dans l’eau salée qui nous entoure, en particulier en outre-mer ? Nous avons de grands explorateurs, des îles éparses un peu partout, mais nous fait défaut la volonté politique de mettre en place une stratégie de recherche ambitieuse pour explorer ce que renferme vraiment l’océan, pour comprendre son fonctionnement, ses interactions avec le climat, pour évaluer les services qu’il nous rend et le patrimoine extraordinaire que nous délaissons.

Un océan en bonne santé, c’est un climat préservé… car, oui, l’océan fait partie des solutions que nous proposons pour dessiner nos lendemains climatiques. Oui, le climat dépend aussi de l’océan. Quand les politiques en prendront-ils conscience ? Certains furent en leur temps des scientifiques, embarquant sur les océans et capables d’évaluer le Gulf Stream en mesurant simplement la température de l’eau (Benjamin Franklin). Embarquons donc les politiques en mer, comme le secrétaire général des Nations unies sur Tara, pour les convaincre que l’océan est notre avenir et que la vie est bleue !

Françoise Gaill coordonne le conseil scientifique de la Plateforme océan et climat.

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