COP21 : dompter la finance pour la mettre au service du climat

« Un moment de vérité pour le climat et le développement soutenable. » Tel est le titre d’une déclaration publiée lors de l’ouverture de la réunion de Bonn cette semaine, dernière rencontre préparatoire à la conférence mondiale sur le climat (COP21) qui se tiendra à Paris en décembre. Une de plus dira-t-on, qui ne concerne que ceux qui l’écrivent. Originellement fruit des travaux du réseau LCS-Rnet, plate-forme internationale de dialogue entre scientifiques et responsables politiques, cette déclaration est aujourd’hui portée par 212 experts dont 72 auteurs du groupe III du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), de grands noms de l’économie du développement et cinq anciens ministres.

Cette mobilisation de scientifiques imprégnés de cultures diverses et venant de 48 pays de niveaux de développement très inégaux, mais tous ayant une longue expérience de l’affaire climatique et des enjeux de développement, témoigne de leur volonté de formuler une vision commune de la tâche qui incombe à la COP21. Cette conférence sur le climat se prépare dans un contexte économique défavorable où la tentation est grande de repousser encore l’enclenchement de politiques climatiques ambitieuses.

Mais succomber c’est en même temps prendre le risque de dérèglements irréversibles du climat futur. C’est aussi se priver d’un levier important pour tirer l’économie mondiale hors des turbulences qu’elle vit depuis la crise financière de 2008 et l’orienter vers un développement solidaire et vers la réduction de la pauvreté.

Enjeux économiques autant que climatiques

Réunissant un ensemble représentatif d’expertises dans les domaines de l’énergie, des transports, de l’industrie, de la ville, du monde rural, de l’industrie et de la finance, ce texte rappelle que la transition bas carbone mobilise des secteurs d’infrastructures (énergie, transport, habitat) qui ont un fort pouvoir d’entraînement sur l’activité économique et sont décisifs pour un développement solidaire. Mais on ne changera pas les politiques dans ces secteurs uniquement pour des enjeux climatiques ; on les changera si elles contribuent à relever d’autres défis comme la sécurité énergétique, la réduction des pollutions atmosphériques locales, la valorisation des ressources locales, la création d’emplois et la réduction des fractures sociales.

Les politiques climatiques ne peuvent donc plus être un exercice, d’ailleurs sans espoir, de partage plus ou moins équitable des restes d’un budget d’émissions compatible avec les 2 °C. A sa place, la déclaration de la Conférence de Cancun (2010) a appelé à un « nouveau paradigme », celui, plus positif, de « l’accès équitable à un développement bas carbone ». Le dépôt des « contributions volontaires » (les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre) par les gouvernements permet d’identifier les synergies positives entre politique et développement. Mais l’enjeu est de sécuriser leur application et d’inciter à leur renforcement. C’est dans cette perspective que doit se traduire le principe de responsabilités communes mais différenciées qui est au fondement de la convention climat.

Le financement est le moyen privilégié de traduire ce principe, mais les budgets publics sont tendus, d’où les inquiétudes sur l’approvisionnement du Fonds vert pour le climat, qui doit financer les politiques d’adaptation au changement climatique des pays en développement. Or, dans le monde, l’épargne disponible est abondante, mais hésite à s’investir sur des projets de long terme. L’enjeu est donc de baisser les risques sur les investissements bas carbone et de réorienter vers eux une épargne qui va « ailleurs », dans des placements purement spéculatifs et l’immobilier. Cela passe par des réformes des mécanismes d’intermédiation financière qui dépassent les compétences de la convention climat.

Mais la COP21 doit donner les principes de base pour que de telles réformes servent vraiment la lutte contre le réchauffement climatique : une valeur sociale des activités d’atténuation du changement climatique qui puisse être insérée dans les mécanismes de financement des contributions volontaires, un dispositif solide de suivi et contrôle des projets, une faible taxe sur les revenus des projets pour financer le fonds vert pour le climat et garantir l’existence d’une aide multilatérale. Cette déclaration n’est pas un vœu pieux. La déclaration commune de la présidente brésilienne Dilma Rousseff et du président américain Barack Obama, le 30 juin dernier, reprenait la référence à la valeur sociale des activités d’atténuation (baisse des émissions) et le G77, le groupe des pays en développement, a demandé que cette référence soit retenue. Cela permettrait d’ouvrir, après la COP21, un processus qui permette, selon l’image de Keynes, de dompter les « esprits animaux » de la finance et de les mettre au service d’une cause commune pour l’humanité.

Manfred Fischedick (Allemagne) vice président du Wüppertal institute, professeur à la Schumpeter School, Wüppertal University auteur du Giec ; Jean-Charles Hourcade (France), directeur de recherche émérite CNRS, CIRED, auteur du Giec pour le 2°, 3°, 4° et 5° rapports ; Bert Metz (Pays-Bas), European Climate Foundation, président du Groupe 3 pour les 3° et 4° rapports du Giec ; Irving Minzer (États-Unis), professeur à la Johns Hopkins University ; Emilio La Rovere (Brésil), professeur à la COPPE, Université Fédérale de Rio de Janeiro, auteur du Giec pour les troisièmes, quatrième et cinquième rapports du Giec ; Pryadarshi Shukla (Inde), professeur à l’Université de Management d’Ahmenabad, auteur du Giec pour les troisièmes, quatrième et cinquième rapports du Giec ; Youba Sokona (Mali), co-président du Groupe III du Giec pour le 5° rapport.

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