Corée du Nord : il faut changer de logiciel

Le 4 juillet, alors que les Etats-Unis célébraient leur indépendance, la république populaire et démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), en a profité pour offrir ce que Kim Jong-un considère être comme un «paquet cadeau» aux «ennemis jurés» américains : un test de missile d’une portée théorique encore inédite de la part des Nord-Coréens, potentiellement capable d’atteindre pour la première fois l’Amérique continentale. Si la Corée du Nord teste très régulièrement, et en grande pompe, divers missiles et armes atomiques, le test du 4 juillet revêt une importance particulière et appelle à un changement de politique de la part des Etats-Unis et des puissances occidentales en général. Ce test réussi vient en effet couronner une longue série de démonstrations de force de la part de Pyongyang, qui témoigne d’une maîtrise technologique toujours plus poussée et porte une pression accrue sur les pays de la zone et sur l’Occident. Alors que l’administration Trump peine à trouver une boussole diplomatique et jongle avec différents types de discours contradictoires vis-à-vis de Pyongyang, la principale réponse de la communauté internationale face aux programmes nucléaires, balistiques et spatiaux nord-coréens a été une augmentation des sanctions économiques, via le Conseil de sécurité de l’ONU ou de manière unilatérale.

Le bilan concernant l’efficacité de ces sanctions est sans appel : les différentes mesures de rétorsion économique à l’égard de Pyongyang n’ont aucune efficacité sur le développement des programmes controversés de la Corée du Nord, pourtant économie la plus sanctionnée du monde. Bien au contraire, la très sévère volée de sanctions onusiennes adoptée en mars 2016 (à la suite d’un test nucléaire ayant suffisamment agacé le partenaire chinois pour qu’il donne son feu vert à une drastique augmentation des sanctions) semble avoir eu un effet très contre-productif et un résultat diamétralement opposé aux attentes de la communauté internationale : depuis lors, les essais de missiles se sont succédé, jusqu’au bond qualitatif du 4 juillet. De surcroît, malgré les diverses mesures visant à couper la Corée du Nord du commerce international, l’économie nord-coréenne semble afficher un relatif mais indéniable renouveau économique, le pays semblant avoir tourné la page de la grande famine des années 90 et repris le chemin du développement. En l’absence de statistiques fiables, les observateurs à l’intérieur comme à l’extérieur du pays s’accordent aujourd’hui à dire que la machine économique nord-coréenne fonctionne relativement bien, notamment du fait d’un certain pragmatisme économique de la part des autorités.

Il faut donc changer de logiciel diplomatique si l’on veut sortir de la crise actuelle. Aucune solution potentielle ne fera l’unanimité, ni pour la communauté internationale ni pour Pyongyang. Un durcissement des sanctions de la part des chancelleries occidentales et de leurs alliés est probable et compréhensible à court terme, l’inaction étant bien évidemment impossible. Il est néanmoins à peu près certain que ces inévitables sanctions supplémentaires auront des effets très limités, voire nuls. Les potentielles réponses militaires, quant à elles, sont en fait des non-solutions. Elles contribueraient à «justifier» a posteriori la quête nucléaire de Pyongyang (qui se considère comme une forteresse assiégée par Washington) et auraient pour probable résultat un bilan humain cauchemardesque, la Corée du Nord étant un des Etats les plus militarisés du monde et Séoul étant littéralement à portée de canon de la frontière nord-coréenne. De plus, dans une région encore fortement polarisée par les rancœurs nationalistes héritées de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide, le risque d’un embrasement généralisé de la zone Asie-Pacifique ne peut être mis de côté.

Echec très probable des sanctions et pressions, solutions militaires potentiellement apocalyptiques… Les moins mauvais choix envisageables pour les Etats-Unis semblent être ceux de la négociation. Donald Trump, durant la campagne présidentielle, avait envoyé, dans son style inimitable, des signaux qui indiquaient sa volonté de discuter avec Kim Jong-un «autour d’un hamburger». Depuis lors, comme sur bien d’autres sujets, il a eu le temps de faire plusieurs fois volte-face, cette inconsistance étant certainement une source de crispations pour Pyongyang, qui voit dans un deal avec les Etats-Unis la solution unique à ses angoisses sécuritaires, économiques et politiques. On comprend les réticences occidentales à négocier sous pression et avec une marge de manœuvre très limitée, dans un contexte de méfiance généralisée qui a déjà tué dans l’œuf plusieurs précédentes tentatives de pourparlers. Ainsi, plutôt que de chercher à résoudre en un accord une problématique complexe et protéiforme dont les racines remontent à la guerre de Corée (1950-1953), peut-être faudrait-il d’abord chercher à tenir langue avec Pyongyang et construire patiemment de véritables relations diplomatiques, politiques et économiques sans doute difficiles mais qui auraient le mérite de déminer la voie vers des négociations plus apaisées. De fait, il y a quelque chose de très paradoxal dans la stratégie visant à amener un pays fermé à s’ouvrir aux sollicitations internationales en l’isolant encore plus, et un éventuel accord sur le nucléaire passera forcément par une augmentation des échanges (aide humanitaire, technologie civile, commerce) avec la RPDC : prendre les devants aurait le mérite de montrer à Pyongyang que l’Occident cherche une réponse à la crise nucléaire et non pas un changement de régime, tout en participant à la mise en œuvre d’un climat suffisamment serein pour des négociations constructives.

Dans cette perspective, la France pourrait avoir un rôle particulier. Paris a certes pris du retard dans sa relation bilatérale avec la Corée du Nord (la France est le dernier Etat de l’Union européenne - avec l’Estonie - à ne pas avoir de relations diplomatiques avec la RPDC), mais l’héritage gaullien et l’image d’indépendance vis-à-vis de la superpuissance américaine font que notre pays jouit d’une image particulière auprès des Nord-Coréens. La France a la pragmatique habitude de reconnaître des Etats, non des régimes, et son éloignement volontaire des tensions péninsulaires pourrait paradoxalement jouer en sa faveur : alors que Kim et Trump, obsédés par une politique de puissance et de contrainte, semblent incapables de se parler, un outsider perçu comme indépendant pourrait avoir une carte à jouer.

Théo Clément, chercheur à l’Institut d’Asie orientale (ENS Lyon) et à l’université de Vienne.

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