Corée du Nord : « la communauté internationale devant un dilemme en apparence impossible à trancher »

Le sixième essai nucléaire nord-coréen place la communauté internationale devant un dilemme en apparence impossible à trancher.

Le dirigeant nord-coréen poursuit avec constance le développement de ses capacités nucléaires et balistiques, au mépris des sanctions, des prises de position de son allié chinois et des intérêts objectifs de la Corée du Nord en tant qu’Etat.

Contrairement à ce qu’il affirme pour défendre cette course à l’atome militaire, Pyongyang n’est pas sous la menace d’une attaque américaine visant à détruire le régime. Donald Trump lui-même a déclaré à plusieurs reprises avant et après son élection qu’il était prêt au dialogue avec Kim Jong-un.

On peut donc considérer comme rationnelle la volonté du régime nord-coréen de se doter d’un attribut de puissance qui le placerait au niveau des plus grands. Rationnelle aussi la nécessité pour Kim Jong-un d’imposer sa légitimité sur l’appareil de l’armée et du parti. Il est en revanche difficile d’oublier la dimension délirante d’un régime qui ne vit plus que par et pour l’acquisition de la puissance nucléaire.

Dans ce contexte, la République populaire de Chine (RPC) est au premier plan. Jusqu’à une période très récente, Pékin considérait que le maintien du régime nord-coréen devait l’emporter sur la prise en compte des conséquences négatives. Et il n’est pas certain que le débat ait été tranché dans l’entourage de Xi Jinping. Pour Pékin, en dépit de tous ses défauts, l’un des premiers étant de faire perdre la face aux dirigeants chinois, la Corée du Nord était considérée comme un atout stratégique face aux Etats-Unis.

Si la Chine a toujours voté les sanctions de l’ONU depuis le premier essai nucléaire de 2006, la mise en œuvre a été beaucoup plus aléatoire. La RPC est devenue, depuis la fin des années 2000, le premier partenaire commercial de la Corée du Nord avec une multiplication par 10 des échanges officiels. Au mois de janvier, un rapport de l’ONU démontrait que la Chine était toujours au centre de trafics qui offrent à la Corée du Nord un accès précieux aux marchés internationaux.

Sur le plan idéologique – même si cette dimension est souvent oubliée –, le régime nord-coréen est aussi un régime frère, et accepter l’éventualité d’un changement de régime en Corée du Nord pourrait constituer un mauvais exemple en Chine même. Au sein de l’Armée populaire de libération (APL), le sacrifice de centaines de milliers de « volontaires » chinois pendant la guerre de Corée n’a pas été oublié, et la RPC n’a jamais dénoncé le traité d’amitié qui la lie à la République démocratique et populaire de Corée (RDPC), qui comprend une dimension d’alliance militaire, d’ailleurs récemment rappelée par Pékin dans l’hypothèse d’une frappe américaine.

Le Japon, une cible

La clé de l’évolution des positions chinoises se trouve en réalité à Washington. Pour Pékin, le risque majeur posé par la Corée du Nord est en effet indirect. Il réside dans le renforcement des alliances « héritées de la guerre froide», qui gêne les ambitions de la Chine dans la région.

En Corée du Sud, alors que le nouveau président Moon Jae-in était connu pour ses positions favorables au dialogue et pour son hostilité envers les Etats-Unis et le Japon, ce sont les appels aux représailles les plus sévères – avec l’organisation d’un exercice de frappe contre des installations nucléaires nord-coréennes – et des relations de sécurité plus étroites avec les Etats-Unis, y compris le renforcement du système de défense antimissiles THAAD, qui l’emportent. Dans l’opinion publique et chez certains experts, la perspective de se doter d’une capacité de dissuasion nucléaire rencontre un fort soutien.

Le Japon – qui abrite les plus importantes bases américaines en Asie – constitue une cible directe pour les tirs de missiles nord-coréens. Il y a quelques jours, son territoire a été survolé par un missile nord-coréen qui s’est abîmé dans le Pacifique. Depuis, le premier ministre Abe s’est entretenu à plusieurs reprises avec le président Trump et, à Tokyo, le débat sur l’acquisition d’une véritable capacité de dissuasion – conventionnelle – est de plus en plus légitime en dépit d’un fort sentiment pacifiste dans la population. Le gouvernement a proposé un nouveau budget des forces d’autodéfense, dont plus de la moitié serait consacrée au développement d’une capacité balistique défensive, permettant d’envisager des frappes préventives contre le territoire nord-coréen.

Embargo total

Mais le dilemme posé par la Corée du Nord n’est pas tranché et la personnalité du président Trump renforce les incertitudes. Toutefois, si on a beaucoup dénoncé le caractère dangereux d’une présidence américaine qui envisage la possibilité de frappes ciblées contre les installations balistiques et nucléaires nord-coréennes, on doit aussi s’interroger sur les conséquences du choix inverse.

Frapper serait prendre le risque d’une riposte nord-coréenne, contre Séoul, où réside plus de la moitié de la population de la Corée du Sud, avec les moyens d’artillerie massés à la frontière entre les deux Corées. Le pari est évidemment très risqué, même si l’exagération des capacités de riposte de la Corée du Nord fait aussi partie d’une stratégie de dissuasion qui doit être relativisée.

On ne peut toutefois nier qu’une frappe de ce type aurait un effet disruptif majeur sur le régime nord-coréen et son programme balistique et nucléaire. Convaincre Pékin que cette possibilité existe et n’est pas a priori écartée joue aussi en faveur d’une application réelle de sanctions proches d’un embargo total – y compris énergétique – sur la Corée du Nord.

Montée des périls en Asie très probable

L’autre hypothèse, défendue par la Chine, de reprise du dialogue, et d’acceptation du statu quo, aurait à terme des conséquences catastrophiques en l’absence d’évolution du régime nord-coréen. Dans un premier temps, celui-ci pourrait jouer le jeu d’une nucléarisation de fait « raisonnable », uniquement destinée à protéger le régime contre toute attaque. Mais la preuve aurait été faite que les Etats-Unis n’ont plus la volonté d’imposer des lignes rouges infranchissables.

Le signal pour les alliés de Washington dans la région serait dramatique et la montée des périls en Asie très probable. Pyongyang pourrait en effet être tenté d’imposer – pour des raisons de prestige intérieur – la réunification de la péninsule, à l’abri de sa capacité nucléaire. Même si le calcul est faux, le risque de crise majeur existe. De son côté, la Chine pourrait aussi poursuivre sa stratégie de puissance en Asie face au Japon, à l’Inde ou en Asie du Sud-Est, en comptant sur le non-interventionnisme des Etats-Unis.

Face à ces risques potentiels, les verrous de la course aux armements et de la prolifération pourraient également sauter à Séoul comme à Tokyo. Le choix de l’apaisement et du dialogue, s’il peut sembler le plus raisonnable, pourrait donc être aussi celui qui, à terme, déboucherait sur des conflits beaucoup plus graves.

Par Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique/FRS.

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