Coronavirus et climat : tirer les leçons du cas français

Les décideurs politiques du monde entier sont confrontés à un dilemme : confiner l’économie et voir la production et l’emploi s’effondrer, ou ouvrir et faire face à submersion du système médical ? Mais ils manquent de données sur l’évolution probable de l’épidémie. Nous avons examiné l’effet de la température et de l’humidité sur les hospitalisations dues au Covid-19 dans 96 départements de France métropolitaine, un choix basé sur la disponibilité, la qualité et l’uniformité des données statistiques.

Schéma saisonnier

Nous abordons la question de l’impact du climat sur la propagation de Covid-19 avec une certaine hésitation, car nous sommes des économistes, et non des virologues. Pourtant, le fait que les épicentres du Covid-19, de Wuhan à Téhéran, Bergame, Mulhouse, Madrid et New York, se trouvent en zone tempérée est d’une grande importance, puisque ces régions risquent de subir le plus grand nombre de décès et les plus grands dommages économiques.

Les épidémies de grippe passées, dont beaucoup sont causées par des virus de la famille des coronavirus, présentent un fort schéma saisonnier (1). Ces trois derniers mois, plusieurs études préliminaires utilisant diverses techniques ont montré que le virus se répand plus rapidement dans les climats tempérés. L’une des premières études – mise à jour le 12 avril — a examiné la propagation du Covid-19 à travers la Chine et conclu que le taux de transmission était négativement associé à la température et à l’humidité, une fois pris en compte des facteurs comme la densité et le revenu par habitant (2). Bukhari et Jamil (2020) du MIT ont conclu que jusqu’au 22 mars, 90% des transmissions de coronavirus ont eu lieu dans une plage de température allant de 3 à 17°C, et que les pays au climat plus chaud ont connu une transmission moins rapide. D’autres études ont abouti à des conclusions similaires (3). Bien entendu, aucune ne prétend que des températures et une humidité élevées suffisent à enrayer l’épidémie, observée sous de nombreux climats, y compris le sud de l’Inde, chaud et humide.

De nombreux observateurs ne sont pas convaincus par cette idée d’une incidence du climat. A certains égards, ce scepticisme est justifié. Le manque de ressources de dépistage est en effet planétaire, et les pays plus chauds qui sont généralement aussi les plus pauvres font moins de tests.

Seuil critique

En nous concentrant sur les hospitalisations dues au Covid-19 en France, nous disposons d’une mesure quotidienne depuis le 18 mars. Avec un système de santé à payeur unique relativement homogène et un confinement appliqué de manière plutôt uniforme sur l’ensemble du territoire, la France offre des données fiables. Certes, la variation du climat en France est bien moindre que dans le reste du monde, de 5 à 13 degrés Celsius et de 61% à 86% d’humidité relative à travers ses départements. Malgré tout, la variation des taux d’hospitalisation liées au Covid-19 à travers la France est remarquable, de 0,1 personne pour mille à 1,6 personne pour mille dans les départements les plus touchés, comme Paris.

Comment expliquer cette variation ? Pour identifier l’effet de la température et de l’humidité sur les hospitalisations, nous devons tenir compte d’autres variables : densité de la population, structure d’âge, visites de touristes et revenu par habitant. De plus, la date à laquelle l’épidémie atteint un seuil critique compte aussi, ce moment pouvant signifier un nombre plus élevé d’infections et d’hospitalisations.

On observe même à l’œil nu que la densité de population est fortement corrélée à une augmentation des hospitalisations. Sur les 7 départements où la fréquence des hospitalisations est égale ou supérieure à 1 pour mille, quatre (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) comptent plus de 5 000 habitants par km2. Les trois autres (Alpes-de-Haute-Provence, Creuse et Lozère) ont une très faible densité, ce qui souligne l’importance d’autres facteurs.

L’analyse par régression des différentes variables déjà mentionnées nous confirme que le taux d’hospitalisation plus faible observé dans les régions chaudes de France n’est pas dû au fait que l’épidémie est encore récente, mais qu’il reflète probablement des taux de transmission plus faibles du Covid-19.

Approche de l’été

L’analyse montre qu’une augmentation de 1% de la température peut être associée à une réduction de 2,8% des hospitalisations. Si cette relation devait se maintenir dans le temps, elle impliquerait une forte diminution de la propagation de la maladie pendant les mois d’été. Il faut cependant noter que la variation de température dans notre échantillon n’est que de 5 à 13 degrés, et que la température de juillet-août à Paris (un épicentre majeur de la maladie) est en moyenne de 25 degrés, en dehors de la plage de l’échantillon.

En outre, de nombreux autres facteurs influent sur l’incidence des hospitalisations, tels que des matchs de football populaires, des rassemblements religieux ou des festivités rassemblant un grand nombre de personnes. Il se peut aussi que nous omettions certaines influences systématiques qui sont corrélées avec la température ou que nous mesurions imparfaitement les variables qui ont été retenues.

Nos résultats semblent cependant être robustes dans le temps : ils résistent à la progression et «l’âge» de l’épidémie, ainsi qu’au changement de la composition de l’échantillon de départements. Le cas français peut donc fournir un indice sur la raison pour laquelle la propagation du Covid-19 reste limitée en Afrique où le climat est plus chaud et où les pays ont une densité de population plus faible. Il contribue à expliquer la remarquable similitude dans la diminution du nombre d’infections constatée ces dernières semaines entre des pays de l’hémisphère Nord ayant des approches très différentes de la distanciation sociale, comme la Suède, qui a mis en œuvre peu de mesures de ce type, et l’Italie, où le confinement est total (4). Il est possible que des températures plus élevées ralentissent déjà la propagation de l’épidémie et que cet effet s’ajoute à ceux de la distanciation sociale.

Une implication politique de ces résultats est qu’il est plus probable qu’on ne le croit généralement que les mesures de confinement dans l’hémisphère Nord puissent être assouplies avec succès et de plus en plus à l’approche de l’été. Puis les décideurs politiques peuvent avoir plus de latitude sur la manière d’aborder le déconfinement – c’est-à-dire, sur le degré de distanciation sociale, les tests de dépistage et les interdictions de voyage. En outre, certains pays des zones tropicales et quasi-tropicales pourraient contenir la pandémie en adoptant la distanciation sociale et le traçage des contacts, sans confinement prolongé. Cela ne signifie certainement pas que des températures plus élevées suffisent à contenir la maladie. Toutefois, il est probable qu’elles ralentiront sa progression dans l’hémisphère Nord dans les prochains mois.

Par Uri Dadush, ancien président de l’Economist Intelligence Unit (EIU) et ex-directeur du département du commerce international et des perspectives de développement à la Banque mondiale. et Oumayma Bourhriba, assistante de recherche en économie, Policy Center for the New South.


(1) Lowen et Steel, 2014
(2) Wang et al, 2020.
(3) Ficetola et Rubolini, 2020 ; Liu et Zhi, 2020 ; Triplett, 2020.
(4) Ben Israel, 2020.

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