Tout au long de «l’histoire», les peuples autochtones ont été dévastés par les épidémies importées par les intrus voulant s’approprier leurs territoires et leurs richesses. En 1492, lorsque les conquistadores débarquent sur le sol «américain», 90 % des peuples autochtones sont décimés par la violence génocidaire et par les maladies apportées par les Européens, comme la rougeole ou la variole, contre lesquelles ils n’avaient pas d’immunité. Certains peuples ont même été complètement exterminés. C’est sans aucun doute l’une des plus grandes catastrophes démographiques de l’histoire. Une tragédie qui s’est répétée partout où les colons européens ont introduit, avec la colonisation, de nouvelles maladies.
On pourrait argumenter qu’avec la pandémie de coronavirus, le contexte est différent. Le virus est nouveau et de ce fait aucun être humain n’a, pour l’instant, développé d’immunité. Nous serions donc tous sur le même plan de vulnérabilité. Mais ici aussi les peuples autochtones sont parmi les plus vulnérables. Les raisons de cette vulnérabilité accrue trouvent leurs racines dans des maux très précis : le colonialisme et le racisme institutionnalisé.
Dans la plupart des pays, la violence génocidaire de la «conquête» a été suivie d’années de politiques d’acculturation. Au Canada, en Australie et aux Etats-Unis notamment, les pensionnats autochtones et le placement des enfants dans des familles blanches (ce qu’on appelle les «générations volées») – les deux principaux outils de l’assimilation forcée – ont des conséquences jusqu’à aujourd’hui sur la santé physique et mentale des personnes autochtones.
Lorsque les peuples autochtones sont dans l’obligation d’adopter une vie sédentaire, beaucoup deviennent dépendants des aliments industriels. Ce changement de mode de vie et de régime alimentaire – d’une nourriture traditionnelle très protéinée à une autre très grasse – a des effets désastreux, comme l’obésité, l’hypertension ou le diabète. Les Aborigènes ont six fois plus de risques de mourir de diabète que les autres Australiens. La situation est similaire au Canada et dans certaines régions des Etats-Unis. Privés de leurs terres, leur état de santé s’est érodé, les peuples autochtones sont plus vulnérables et donc plus exposés aux maladies.
Contexte colonial
L’autre obstacle est celui de l’accès aux soins, que ce soit pour des raisons géographiques ou parce que les ressources sont insuffisantes. Pour Sarah Fraser, professeure en santé de l’Université de Montréal, ce n’est pas un hasard si au Canada, au-delà du 55e parallèle, il n’y a pas d’hôpital mais seulement quelques postes de santé dans lesquels les médecins ne viennent qu’une semaine par mois. Dans un entretien avec Reporterre, elle explique : «Les autochtones sont plus vulnérables en temps normal, donc actuellement, c’est encore pire. Mais cette situation est liée au contexte colonial. Le Canada n’a pas assez investi dans les communautés, ne leur a pas donné les moyens de gouverner leurs propres services, leurs ressources.»
Au Brésil, l’arrivée au pouvoir d’un président anti-autochtones a vu se réduire comme peau de chagrin des droits durement gagnés. Le gouvernement de Jair Bolsonaro a notamment réalisé de nombreuses coupes budgétaires dans le système de santé pour les autochtones. Ses attaques répétées contre les médecins cubains ont provoqué le retrait du pays du programme Mais Médicos (en français Plus de Médecins). Le résultat ? Des milliers de personnes privées de soins dans les zones les plus reculées du pays. Un manquement qui va être déterminant dans la gestion et l’endiguement de la crise dans les territoires autochtones.
Menace de l’extermination
Il existe une centaine de peuples non contactés dans le monde dont la très grande majorité se trouve en Amazonie. Ce sont les peuples les plus vulnérables de la planète. Si leurs terres sont correctement protégées, ils devraient être à l’abri de la pandémie. Malheureusement, les invasions sont de plus en plus fréquentes sous Bolsonaro, comme le constate Sarah Shenker, chargée de campagne à Survival International : «Nombre de leurs territoires sont envahis et volés pour l’exploitation forestière, minière et agroalimentaire avec l’encouragement du président Bolsonaro, qui a pratiquement déclaré la guerre aux peuples autochtones du Brésil. Là où les envahisseurs sont présents, le coronavirus pourrait anéantir des peuples entiers. C’est une question de vie ou de mort.» L’inquiétude grandit, d’autant plus que plusieurs personnes autochtones ont été diagnostiquées avec le coronavirus au Brésil. Cinq d’entre elles sont décédées, dont un adolescent yanomami de 15 ans.
Pour le mouvement Survival International, la protection des terres est primordiale pour éviter que des milliers de personnes autochtones ne meurent du coronavirus. Il faut continuer à se battre pour que les gouvernements respectent les droits fondamentaux des peuples autochtones et leur donnent les moyens de vivre sur leurs territoires. Lorsque les peuples autochtones vivent et contrôlent leurs terres, leur qualité de vie et de santé sont bien meilleures que celles des peuples qui en ont été expulsés. Le colonialisme et la violence génocidaire nous ont déjà fait perdre une grande part de notre diversité humaine et de notre humanité, ne laissons plus l’histoire se répéter.
Marie Ndenga Hagbe, ancienne journaliste et membre de l'ONG Survival International, le mouvement mondial pour les peuples autochtones