Covid-19 : l’exception suédoise?

Samedi dernier dans un parc de Stockholm. Photo Andres Kudacki. AP
Samedi dernier dans un parc de Stockholm. Photo Andres Kudacki. AP

Dans un monde en quarantaine où quelque 4 milliards d’êtres humains sont désormais tenus dans une variante de confinement plus ou moins stricte, la situation de la Suède n’a pas manqué d’interpeller, voire de scandaliser. Voici un pays où la plupart des services et commerces, écoles, crèches, restaurants et bars restent ouverts alors que le printemps arrive et incite aux excursions. Tout juste vient-on de décider d’en terminer avec la saison de ski, qui s’étend habituellement jusqu’à la fin avril.

Mais ce tableau ne serait pas complet si on ne mentionnait pas que les lycées et universités ont été fermés depuis plusieurs semaines, que les personnes âgées et à risque sont bien entendu invitées à limiter leurs contacts, en particulier dans les lieux d’hébergement collectif et que, comme ailleurs, on recommande de prêter la plus grande attention aux gestes barrières, tout en évitant de voyager à l’intérieur du pays au temps des fêtes de Pâques. Ce n’est donc pas exactement comme si la Suède avait été passive et imprudente face à la propagation du virus, elle a notamment beaucoup testé dès le début de l’épidémie.

Une appréciation mesurée du risque

Non, les institutions sanitaires et le gouvernement ont délibérément choisi une option fondée sur une appréciation mesurée et graduelle du risque épidémique, au regard des autres conséquences économiques et sociales plus faciles à appréhender. Dans cette optique, la Suède a pu bénéficier de quelques leçons tirées des premiers foyers asiatiques, mais aussi européens, du virus et des réponses qui ont été données par les gouvernements respectifs. En dépit des similitudes opératoires de cette pandémie, aucun pays n’est exactement touché de la même façon. Régionalement, démographiquement, chaque société véhicule différents degrés de distanciation sociale, y compris dans le rapport plus ou moins intime entre les générations, tandis que les capacités de réponse ou de résilience, institutionnelles, sanitaires, collectives, ne sont pas non plus homogènes.

Malgré la très faible densité de lits hospitaliers, la Suède conserve un système de santé assez bien organisé et performant et des mesures ont été prises pour anticiper l’afflux et la concentration locale de patients en situation de détresse respiratoire. Une des raisons avancées pour ne pas fermer les écoles était justement de préserver la disponibilité du personnel de santé à cet égard. Certes, la situation est devenue très tendue pour ces derniers et les polémiques ont naturellement porté sur le risque et le stress élevés que ces professions allaient subir du fait d’un refus du confinement.

Mais le contraste le plus frappant avec les pays actuellement les plus touchés, la France notamment, c’est l’absence relative d’un climat de panique, relayé par certains médias et les réseaux sociaux, ou de discours martiaux des responsables politiques. Le médecin responsable de l’Agence de santé publique, le très flegmatique Anders Tegnell, diffuse un message pragmatique et prudent, par exemple quant à l’importance des cas asymptomatiques et à leur contagiosité que l’OMS juge limitée, même s’il a dû essuyer de fortes critiques venues du monde entier.

La stratégie de l’immunité collective

L’approbation de l’action du gouvernement reste forte, la démocratie n’a pas été mise en parenthèse, d’autant que la Suède n’a pas de disposition sur l’état d’urgence en temps de paix, contrairement à ses voisins. Les partis se sont néanmoins accordés sur la nécessité pour le gouvernement de prendre rapidement des mesures exceptionnelles qui seraient nécessaires, pour une durée de trois mois, à l’instar de la fermeture de gares ou autres lieux publics. Car la diffusion du virus se poursuit et pourrait laisser penser que l’on a bel et bien opté pour une stratégie d’immunité collective qui ne dit pas son nom, considérant que l’âge moyen des victimes est supérieur à 80 ans et qu’il n’est pas possible d’imposer bien longtemps des mesures de confinement face à une pandémie de ce type dont les effets et les résurgences à l’échelle mondiale seront très vraisemblablement prolongés.

Ce dernier point est probablement le plus important pour les autres pays qui doivent gérer la crise, sortir du confinement ou qui seront exposés à de telles résurgences. La quarantaine totale ne saurait être la seule réponse durable dans la configuration actuelle et dès lors que l’on a pris la mesure des effets catastrophiques de la phase initiale du virus sur les systèmes hospitaliers. En particulier dans les pays plus pauvres ou inégalitaires, les personnes plus défavorisées encourent la double peine d’être moins bien protégés des effets de la maladie et de ceux, à court et long terme, d’un confinement strict.

Les pays comme la Suède, la Corée du Sud ou Taïwan qui n’ont pas imposé de confinement total, mais une combinaison de quarantaine ciblée, de suivi et de test à plus ou moins grande échelle, accompagnés des mesures de distanciation sociale (voire du port de masque), montrent que d’autres voies sont envisageables, avec des variantes appréciables. Le profil des personnes à risque étant dorénavant assez bien établi, il importe de les préserver en priorité, surtout dans les pays où les capacités médicales sont moindres, et dans l’attente de traitements ainsi que d’une meilleure immunité des populations.

Par Yohann Aucante, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.

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