Covid-19 : pourquoi l’Afrique mise tout sur la prévention

Début mars, alors que la pandémie quittait l’Asie pour se propager dans le reste du monde, l’un des rares aéroports où des mesures concrètes étaient prises n’était ni Londres ni Paris mais bien Bamako, au Mali. Des hommes et des femmes recouverts de blouses bleues de protection, de masques et de lunettes, prenaient la température des passagers à la sortie des avions, exactement comme en 2014, lorsque le virus Ebola a frappé la région du fleuve Mano en Guinée et menacé toute l’Afrique de l’Ouest. Cette pandémie avait contaminé 28 000 personnes entre 2013 et 2016, faisant 11 300 morts, mais laissant aussi derrière elle toute une expérience et de bons réflexes dans la réponse à apporter.

Du Sénégal au Gabon en passant par le Tchad et le Niger, des mesures précoces ont été prises : fermeture des frontières et des écoles, couvre-feu, interdiction des cérémonies et des rassemblements, ce qui explique largement pourquoi la catastrophe tant annoncée ne s’est pas produite. L’Afrique n’est pas pour autant à l’abri, car la pandémie progresse très vite. Elle comptait au 26 mai, pour plus d’un milliard d’habitants, 115 000 cas de Covid-19, 3 480 décès et 46 630 guérisons selon le Centre de contrôle des maladies (CDC) de l’Union africaine (UA), contre 75 850 cas et 2 560 décès au 15 mai.

L’Afrique de l’Ouest, avec 30 000 personnes contaminées, est en train de devenir le second foyer de la pandémie après l’Afrique du Nord (35 400 cas). Elle compte aujourd’hui 39% des cas déclarés en Afrique (contre 29% au 15 mai), et le virus tue de manière très variable selon les pays. Il affiche 10% de létalité au Liberia, 7% au Burkina Faso, 6% au Niger, contre une moyenne ouest-africaine assez basse de 2%. La Mauritanie, avec 268 cas recensés au 26 mai et 13 décès, représente une exception que les agences des Nations unies dans la sous-région ont décidé d’étudier.

L’accès au dépistage se pose de manière aussi très différente en fonction des pays. Le Ghana se positionne en chef de file des Etats disposant le plus de tests, alors que les capacités restent faibles ailleurs. Dans ce contexte, les projections de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sont à prendre au sérieux : elles portent sur un taux de 26% de la population africaine infectée en un an, la pandémie risquant d’emporter 190 000 vies et de nécessiter une aide respiratoire pour au moins 100 000 personnes.

Prévention, dépistage et traçage

Que faire ? Pour l’instant, les mêmes réponses stratégiques se dessinent qu’avec le virus Ebola. La pandémie touchant des pays dont les systèmes de santé sont notoirement faibles, une réponse médicalisée ne suffit pas. La solution, pour être efficace, doit tout miser sur la prévention, le dépistage, le traçage des «cas contacts» et la surveillance, avec un fort accent mis sur la mobilisation communautaire, via les réseaux de femmes et de jeunes. Aujourd’hui, l’UNFPA partage dans les pays où il est représenté son expérience de leader en termes de «contact tracing» durant la crise Ebola. Pas moins de 5 000 soignants avaient été recrutés, et des fonds alloués avec des systèmes de suivi pour aider les Etats à savoir où se trouvaient les personnes infectées, grâce à une application pour téléphones portables.

L’aide à apporter à l’Afrique s’avère diverse, elle aussi, à ajuster aux pays en fonction de leurs capacités. Alors que certains ont les moyens de financer une réponse, comme le Sénégal, d’autres ne peuvent pas attendre pour obtenir une aide sanitaire sous forme de masques, de tests, de respirateurs, et même d’hôpitaux préfabriqués.

Notre plus grand souci aujourd’hui consiste à éviter que cette crise n’en génère d’autres : économique, sociale, alimentaire… D’autant que le coronavirus touche des pays du Sahel et du bassin du Lac Tchad déjà meurtris par une crise sécuritaire et humanitaire. Alors que l’UNFPA se bat pour la fin des violences basées sur le genre, l’abolition des mariages d’enfants, des grossesses précoces et des mutilations génitales féminines, certains acquis pourraient être menacés. Pour leur autonomisation et l’avenir de l’Afrique en général, il est très important que les filles retournent à l’école après la pandémie.

Par ailleurs, les ruptures dans les chaînes d’approvisionnement en méthodes modernes de contraception risquent d’avoir un impact, mesuré par une étude récente de l’Université John-Hopkins : il pourrait y avoir 7 millions de grossesses non désirées en Afrique si les mesures de confinement se prolongent pendant six mois, avec une réduction de 10% de la capacité des services de santé, y compris pour les soins de santé maternelle et infantile.

Voilà pourquoi l’UNFPA appuie les ministères de la Santé dans tous les pays où ses bureaux nationaux sont engagés, avec d’autres agences onusiennes telles que l’OMS, l’Unicef et du PAM. Parmi les priorités, en phase avec les Objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030, il s’agit de ne «laisser personne derrière». L’UNFPA mène des actions qui vont de la distribution des produits d’hygiène de première nécessité aux plus vulnérables au Ghana à une campagne de prévention par téléphone en Guinée-Bissau, ou encore le traçage des cas contact au Liberia.

Outre la distribution de matériel de protection aux personnels soignants, l’un des axes de notre action, dans un contexte où la croissance démographie pèse sur le devenir de nombreux pays, va consister à distribuer les méthodes contraceptives au-delà des centres de santé habituels, et faire en sorte que les femmes enceintes soient testées. Le tout, en évitant les rumeurs, les malentendus, et en œuvrant à la diffusion d’une information fiable sur la maladie, de manière à ce que les femmes n’évitent pas les centres de santé et les maternités par peur d’être infectées. La prévention reste le mot d’ordre en Afrique, pour les semaines qui viennent.

Mabingué Ngom, directeur régional du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) en Afrique de l'Ouest et du centre.

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