Covid-19 : soutenir le droit à l'information

Nous, Reporters sans frontières (RSF), avons porté plainte auprès du rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la santé, Dainius Pūras, et du rapporteur sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression, David Kaye, en affirmant que les violations de la liberté de la presse portent atteinte au droit à l’information, et par transitivité au droit à la santé. Nous demandons qu’il soit reconnu que le droit à l’information est même «inhérent» au droit à la santé, ce qui signifie qu’il en est une condition sine qua non. L’objectif est de lutter plus efficacement contre les restrictions arbitraires à la liberté de la presse et contre la désinformation, quand la sauvegarde de la santé publique est en cause.

Car malheureusement, des Etats mettent en œuvre la shock doctrine, la «stratégie du choc», qui consiste à saisir l’opportunité de l’apathie politique consécutive à des chocs psychologiques pour renforcer son pouvoir. L’essayiste canadienne Naomi Klein a utilisé l’expression pour évoquer la mise à profit de désastres, politiques ou naturels, pour l’adoption de mesures difficiles à adopter en temps normal. C’est très exactement ce à quoi nous assistons sur tous les continents, où des dirigeants animés d’intentions mauvaises profitent de la crise sanitaire mondiale pour renforcer leur contrôle sur l’information.

Cynisme

C’est le premier enseignement de l’Observatoire 19 lancé par Reporters sans frontières (RSF) le 31 mars. Dénommé en référence au Covid-19, mais aussi à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ce projet a pour objectif d’évaluer les impacts de la pandémie sur le journalisme. Il démontre que la répression des journalistes et des médias connaît ces dernières semaines un développement spectaculaire, et que la tactique à court terme est trop souvent animée par le cynisme.

Au Brésil comme aux Etats-Unis, les présidents s’en prennent avec violence aux journalistes. En Hongrie, une loi orwellienne a imposé un «Etat policier de l’information». Au Cambodge, le Premier ministre utilise la crise du Covid-19 pour renforcer son pouvoir. Sans parler de la Chine, où la répression du journalisme a contribué à ce que l’épidémie se propage, à Wuhan puis dans le reste du monde. Des journalistes ont été arrêtés de la Jordanie au Zimbabwe. En Algérie, c’est notre propre correspondant, Khaled Drareni, qui a été arrêté à la faveur de l’épidémie.

Principes élémentaires

Conformément à l’article 19 du Pacte international sur les droits civils et politiques, il existe des restrictions légitimes à la liberté d’expression, au nombre desquels la sauvegarde de la santé et de l’ordre publics. Le problème est que nombre d’Etats font de l’exception la règle en méprisant les principes de nécessité, de proportionnalité et de limitation dans le temps des restrictions. D’autres, sur le mode du business as usual, s’adonnent au censorship as usual, mais en pire. Ces comportements, au-delà de violer le droit à l’information, aggravent la crise sanitaire.

L’épidémie de coronavirus oblige à imposer le respect des principes élémentaires. C’est pourquoi nous appelons le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, et le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, à s’opposer à la mise en œuvre de la «stratégie du choc» en interpellant directement les gouvernants des pays concernés. Nous attendons que les représentants des institutions onusiennes dénoncent publiquement les Etats qui violent le droit à l’information, portant atteinte à la santé de leurs concitoyens, mais aussi de l’ensemble des êtres humains sur la planète.

Car, à supposer qu’elle l’ait jamais été, la censure n’est pas une affaire intérieure. Dans notre monde globalisé, les violations du droit à l’information, peu importe où elles sont perpétrées, sont l’affaire de la communauté internationale tout entière. La censure, tout comme le coronavirus, ne connaît pas de frontières et peut causer des ravages considérables partout. Le choc psychologique est global. La résistance à l’oppression doit l’être aussi.

Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF)

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