Crise de l’euro : l’Allemagne doit vaincre ses propres craintes

La chancelière Angela Merkel le rappelle à juste titre, la crise de l’euro est avant tout une crise de confiance. Mais d’où vient la défiance ?

Comme l’a écrit Jens Weidmann [le président de la Bundesbank] dans sa tribune (« Renforçons la surveillance budgétaire au sein de l’Union européenne », Lemonde.fr, 30 septembre), il y a un profond malentendu sur l’interprétation des causes de la crise et du besoin de solidarité entre les pays membres de l’Eurozone. Mais pour résoudre les malentendus, il faut que chacun fasse une part du chemin.

La crise grecque a montré qu’il ne pouvait y avoir de solution tant que le nouveau gouvernement grec n’assume pas pleinement sa responsabilité pour réaliser les réformes nécessaires qui permettent au pays de rester durablement dans l’euro, ce qui est arrivé non sans surprise le jour suivant le référendum qui avait rejeté le plan d’ajustement.

Mais ceci n’était apparemment pas suffisant. Au lieu de se féliciter du repentir, bien que tardif, des Grecs, l’Allemagne a mis sur la table au cours des négociations une proposition alternative, qui consistait à faire sortir la Grèce de l’euro pendant cinq ans. Cette initiative a elle aussi contribué à détériorer la confiance réciproque en Europe.

Du consensus au scepticisme

En quelques jours, l’Allemagne et ses leaders ont réussi à transformer le consensus entre les dix-huit pays en un scepticisme et une défiance tout aussi forts à son égard. Cette proposition témoigne d’une tendance à penser que les problèmes sont provoqués seulement par les autres, et que la meilleure manière de les résoudre est d’éliminer leur origine, en ignorant les conséquences autodestructrices de cette approche.

Une vision claire de l’avenir, qui prenne vraiment en considération tous les aspects systémiques, incluant ceux qui résultent des développements internes de l’économie allemande, semble faire défaut. L’économie allemande a connu un succès exceptionnel ces dernières années. Le produit intérieur brut (PIB) allemand par tête est revenu au-dessus de son niveau d’avant la crise bien avant les Etats-Unis, avec un taux d’emploi supérieur et une dette publique en diminution.

Le système économique allemand est un modèle, mais cela ne signifie pas nécessairement que la solution à tout problème européen consiste simplement à reproduire ce qu’a fait l’Allemagne. L’Europe ne serait pas nécessairement plus forte et résistante si nous avions dix-neuf Allemagnes au lieu d’une seule. C’est même probablement le contraire. C’est pourquoi il faut une vision systémique d’ensemble, qui n’est pas la simple somme des visions nationales. Et l’Allemagne, par sa dimension relative et le succès qu’elle a connu ces dernières années, ne peut pas s’y soustraire.

Toutefois, c’est justement cette vision qui fait défaut aujourd’hui. Et cela semble être en partie le résultat de préjugés qui se sont transformés en véritables peurs, en angoisses. Si ces craintes ne sont pas dissipées, surtout en Allemagne, il est difficile de penser que l’Europe puisse aller sur la voie du progrès et du maintien de sa prospérité dans la cohésion.

L’union bancaire garantit une parité de traitement

La première crainte est que l’Allemagne doive toujours payer les désastres financiers des autres pays. Cette peur résulte des conséquences de l’unification allemande, qui a impliqué des transferts considérables de ressources de l’Ouest vers l’Est. Mais en ce qui concerne l’Europe, elle est injustifiée. Certainement pour le passé, mais également pour tout scénario futur raisonnable.

Pour qui observe la crise grecque, même dans le pire des cas, le citoyen allemand moyen aura contribué pour l’essentiel de la même manière que les autres européens. Certains soutiennent même que l’Allemagne contribue beaucoup moins que ce qu’elle devrait, étant donné l’exposition bien plus importante de son système bancaire à la Grèce.

La seconde crainte est que les institutions européennes prennent des décisions allant à l’encontre des intérêts de l’Allemagne. L’évidence démontre le contraire. Toutes les craintes relatives aux interventions monétaires de la Banque centrale européenne (BCE), qui auraient tôt ou tard créé une hyperinflation, se sont systématiquement avérées infondées. Les craintes que les aides aux pays en difficulté se traduisent par un assouplissement des politiques budgétaires se sont révélées injustifiées.

L’expérience de l’Irlande, du Portugal, voire de Chypre, démontre qu’il était juste de les aider. Le contribuable allemand y a de fait gagné. Certes, le cas de la Grèce est encore incertain, mais cela est-il suffisant pour démentir les autres réussites ? La création de l’union bancaire s’est révélée être un succès et garantit une parité de traitement. En résumé, tous les progrès institutionnels que l’Europe a réalisés depuis la crise ou les politiques communes qu’elle a mises en place ont contribué à la stabilité de l’Allemagne (et des autres pays), démentant les craintes initiales.

Excès d’épargne

La troisième crainte concerne la durabilité du système allemand des retraites, liée aux faibles rendements produits par la politique monétaire de la BCE. Elle est également infondée, étant donné que les taux d’intérêt sont aujourd’hui bas presque partout dans le monde. Le problème réside dans l’excès d’épargne par rapport aux investissements au niveau global, et l’Allemagne y contribue de manière systématique, avec plus de 8 % d’excédent extérieur, ce qui produit des effets déflationnistes.

La récente décision du gouvernement allemand d’abaisser l’âge de la retraite ne fait qu’aggraver la situation. La conséquence en est que les taux d’intérêt sont bas parce qu’il n’y a pas assez d’investissements, publics ou privés, en Europe et dans le monde, pour faire face à l’augmentation de l’épargne. Ces craintes sont diffuses, peut-être compréhensibles, mais injustifiées. Elles empêchent la création du contexte de confiance nécessaire pour poursuivre le processus d’intégration engagé il y a plus de 60 ans, qui a donné à l’Europe la paix et la prospérité.

Chaque pays doit faire sa part, sans penser que le problème ne concerne que les autres.

Lorenzo Bini Smaghi a été membre du Comité exécutif de la Banque centrale européenne (2005-2011). Une première version de cet article a été publiée en allemand le 26 août sur le site du journal Süddeutsche Zeitung.

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