Crise des migrations? Non, grave crise politique

Migrants en grand péril au nord de Sabratha, en Libye. © Santi Palacios / Emilio Morenatti
Migrants en grand péril au nord de Sabratha, en Libye. © Santi Palacios / Emilio Morenatti

On ne choisit pas de tout quitter en risquant sa vie. Les populations déçues, révoltées face à des Etats absents ou fragiles, fuient des conflits, des guerres civiles, le risque d’être victimes de traite d’êtres humains ou enrôlés par des groupes terroristes. Certes, les migrants à nos portes ne fuient pas tous des conflits. Des milliers de jeunes dans la pauvreté, sans perspective d’emploi, sont prêts à émigrer vers ce qu’ils croient être l’eldorado. D’autres fuient les incidences déjà perceptibles des changements climatiques comme la raréfaction de l’eau.

Affolantes prévisions

Les prévisions relatives aux flux migratoires sont affolantes. Or ce n’est qu’une toute petite minorité de déplacés qui vient en Europe, face aux millions qui sont au Moyen Orient et en Afrique. Gérer ces flux comme nous le faisons actuellement est à la fois criminel et irresponsable.

J’ai travaillé dans des pays de grande pauvreté en Afrique de l’ouest. J’ai assisté au débarquement de centaines de migrants en Sicile, y ai travaillé avec des bénévoles siciliens admirables de générosité. J’ai entendu le récit de jeunes Africains sur leur voyage jusqu’à et depuis la Libye, les violences subies, leur désarroi face aux exigences des organisations criminelles de passeurs, mais aussi leur besoin de sécurité, d’un avenir meilleur, leur rêve face à l’Europe.

Les questions qui dérangent

Comment expliquer que les inégalités sont croissantes entre Nord et Sud bien que l’on révise régulièrement les stratégies de lutte contre la pauvreté et fixe des objectifs du développement durable irréalistes? Qui est responsable du désastre en Libye et en Irak? Qui profite des ressources minières des pays de provenance des migrants? Pourquoi continuons-nous à exporter des armes vers des Etats qui sont à l’origine de conflits, de violations graves des droits humains? Où vont les millions de dollars finançant les grandes agences onusiennes? Décupler le budget du CICR pour faire face aux urgences humanitaires des conflits qui s’étendent, est-ce une réponse en l’absence de solutions politiques?

Beaucoup invoquent la nécessité d’agir «sur place». Certes. Mais comment?

Les conflits intercommunautaires

Les gouvernants des pays de provenance des migrants ne doivent plus rester silencieux face à l’exode de leurs populations. Trop nombreux sont ceux qui profitent de l’aide internationale sans la piloter, sans définir eux-mêmes les priorités de développement autour desquelles rallier leurs populations et les bailleurs de fonds. En toile de fond, la réalité de la corruption qui perdure à tous les échelons. Les défis gigantesques posés par l’urbanisation croissante et la démographie galopante. Les Etats africains sont fragilisés par des conflits intercommunautaires persistants ou émergents, une situation sécuritaire instable, des systèmes d’éducation et de santé en régression, en dépit des milliards injectés dans ces secteurs par l’aide internationale. Et pourtant on y rencontre des gens de grande qualité. Dans la société civile de ces pays, des minorités se battent courageusement, des femmes en particulier, mais elles ne sont pas entendues. Ou alors elles font partie du système et ne s’expriment pas ou plus.

Il est urgent de repenser l’aide internationale et tout son système, tirer les leçons des échecs, viser à une véritable souveraineté et indépendance des Etats des pays émergents et en développement, une réelle bonne gouvernance de leurs institutions publiques pour le bien des populations, la création de conditions génératrices de richesses locales profitant au plus grand nombre.

L'Europe a besoin d'une vision

Nous avons cru à cette belle idée à l’origine de la création de l’Europe. Il est urgent que celle-ci partage une même vision, un réel projet politique, au-delà des intérêts économiques et géopolitiques, des impératifs de politique intérieure face au terrorisme et l’accélération de la montée de l’extrême droite.

Il est urgent de redéfinir des politiques de migration et d’intégration, d’harmoniser les procédures d’asile. Les migrants arrivent chaque jour, avec leur lot de cadavres. Ce flux ne va pas s’arrêter. Il faut mettre fin au spectacle dramatique et indigne d’une Europe du XXIe siècle, où l’on (re) construit des murs, où l’on trie les gens selon leur religion ou leur couleur. Si nous n’agissons pas autrement, nous continuerons à assister au naufrage des barques de migrants, mais aussi à celui de l’Europe. Nous allons au-devant de la plus grande crise d’après-guerre.

En fait, elle a déjà commencé.

En 1980, déjà...

PS: A la fin des années 1980, un groupe d’experts et de hauts fonctionnaires de l’administration fédérale avait élaboré une «Stratégie de politique d’asile et de migration» préconisant de faire le lien entre politique d’asile et politique migratoire, de revoir la convention sur les réfugiés, d’harmoniser les procédures d’asile. D’agir sur place, de revoir la coopération bilatérale avec les pays d’origine des réfugiés d’alors. Aujourd’hui, le contexte a changé, mais les thèmes discutés il y a près de 30 ans à Berne sont plus que jamais d’actualité et n’ont toujours pas de réponse…

Maud Krafft a travaillé pour plusieurs ONG suisses et internationales en Afrique et en Asie du sud-est

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