Crise économique : chronique d’une tempête annoncée

Le Vieux Continent risque d’être l’épicentre du prochain rebondissement de la crise mondiale. Imperturbables, les responsables économiques européens, tout en admettant la réalité des menaces, persistent à en renvoyer les causes aux «retards» européens dans les «réformes structurelles».

Les Etats-Unis, d’où la crise de 2008 est pourtant partie, ne sont pas visés. Le Japon non plus. Le retour de la crise menace tout particulièrement la zone euro, à savoir la partie du monde qui, au cours des sept dernières années, s’est surtout fixée sur les «réformes structurelles» et beaucoup moins au pansement des ravages de 2008. Après 2008, les Etats-Unis ont utilisé plusieurs leviers pour stabiliser leur économie et ils y sont parvenus dans une certaine mesure. A l’opposé, l’Europe, notamment la zone euro, persiste dans la fragilité.

Remontée de la demande intérieure, de l’investissement et de l’emploi aux Etats-Unis, médiocrité dans ces trois domaines en Europe. Les résultats divergents de part et d’autre ne viennent pas du hasard des marchés, mais au contraire découlent des politiques économiques diamétralement opposées et avec des objectifs différents dans chacune des régions. En Amérique, on a surtout cherché à protéger l’économie des mouvements d’humeur des marchés. En Europe, on prétend surtout agir sur les «profondeurs» avec les «réformes structurelles», comme la réduction des dépenses et des déficits publics, tout en laissant l’économie exposée à l’arbitraire des marchés.

Aux Etats-Unis, la législation «Dodd-Frank» isole l’épargne des déposants de l’argent spéculatif. En Europe, on a toujours trouvé «excessive» et «inutile» une pareille mesure. La FED, banque centrale américaine, a injecté dans l’économie 4 500 milliards, la Banque centrale européenne (BCE) n’a promis que seulement 1 100 milliards mais à terme, jusqu’à septembre 2016. L’«assouplissement quantitatif» porte ses fruits en Amérique, tout en étant mal vu en Europe et à ce jour sans effet significatif sur le Vieux Continent. Comme ses premiers bénéficiaires en sont partout les banques et par leur biais les Bourses, les résultats sont plus perceptibles là où le degré de financiarisation est plus élevé. Les ménages américains sont quatre fois plus exposés à la financiarisation que les Européens, étant donné qu’aux Etats-Unis même les fonds de pensions sont entièrement financiarisés. En Europe, la richesse des ménages est placée principalement dans l’immobilier ou dans les comptes bancaires à vue.

Il s’en suit que les consolidation de revenus financiers n’ont pas les mêmes effets en Amérique et en Europe : les ménages américains en bénéficient plus que les Européens. La consolidation boursière après 2008 a ainsi relancé la consommation des ménages et, partant, la demande effective globale aux Etats-Unis, ce qui a «tiré» l’investissement et l’emploi qui ont retrouvé leur niveau d’avant 2008.

En Europe, au contraire, l’argent pas cher n’a fait que consolider le bilan des banques, souvent aux dépens de la demande intérieure et de l’économie. Le président de la BCE, Mario Draghi, l’a expliqué à maintes reprises : l’offre des liquidités monétaires avec des faibles taux d’intérêt ne suffit pas pour le redressement de l’économie européenne, mais il faudra toujours des actions parallèles des Etats pour ramener cet argent aux endroits les plus utiles, avec le plus d’effet multiplicateur. Il ne s’agit pas de contester l’assouplissement quantitatif, comme le font les Allemands, mais puisqu’il s’agit d’un levier incontournable, c’est surtout en Europe qu’il faudra le compléter par celui de la dépense publique. Au cours des sept dernières années, la demande intérieure américaine s’est accrue onze fois plus rapidement que l’européenne. L’investissement américain s’est redressé avec un rythme cinq fois supérieur à celui en Europe. L’Allemagne, le pays qui réalise les excédents records de balance extérieure, est en même temps celui qui investit le moins : 16 % du PIB, tandis que la moyenne européenne est de 18,5 % du PIB et qu’en même temps la formation du capital fixe aux Etats-Unis remonte déjà à 20 % du PIB.

Que reste-t-il en Europe comme point de satisfaction ? Celui d’avoir ramené le déficit public moyen de la zone euro en dessous de 1 % du PIB. Or, on pourra légitimement s’interroger : tout ça pour ça ? La fixation sur la réduction des déficits finit par rendre la zone euro encore plus vulnérable, car plus exposée aux mouvements d’humeur des Bourses et des marchés. Une économie européenne plus «équilibrée» sur le plan de ses balances fondamentales, mais apparemment plus affaiblie et fragile, avec ses 11 millions des chômeurs et surtout ses retards dans l’investissement, les innovations technologiques, la productivité. Tout assainissement entrepris dans un contexte récessif finit toujours par fragiliser encore plus une économie. Certes, il faudra corriger les distorsions mais il y a un temps pour toute chose. Il faut s’assurer que la correction ne nuit pas à la croissance. Dans un contexte de récession ou de stagnation, comme c’est aujourd’hui le cas européen, tout risque de tourner mal et des situations en principe gérables apparaissent in fine comme insolubles. Le contrat des générations repose sur l’hypothèse d’une croissance reconductible. Or, si cette croissance s’arrête, tout contrat générationnel apparaît alors comme un «abus» des vieilles générations aux dépens des plus jeunes. Mais d’autre part, si les vieilles générations se mettent à la diète cela ne profitera pas pour autant à celles de demain, car il n’y a pire chemin pour l’avenir que celui de la contraction des dépenses au présent. Bien entendu, pour un meilleur avenir, il ne suffit pas de dépenser n’importe comment, il faut toujours cibler les dépenses, pour retenir les plus riches en emploi, en productivité potentielle, en effet multiplicateur. Pour cela, les Etats européens devraient assumer leurs responsabilités, ce qui à présent est loin d’être le cas, les classes politiques stagnant dans un manque total d’ambition et de perspective. A présent, l’Europe, non seulement ne protège pas ses pays membres de la tempête annoncée, mais, au contraire, ayant neutralisé leurs mécanismes d’autodéfense, elle les place en situation d’attente.

Kostas Vergopoulos, professeur émérite d’économie, université Paris-VIII.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *