Crise grecque : un armistice qui ne résout rien

L’euro était censé offrir aux Européens un nouvel horizon de croissance et de solidarité. Il offre la perspective inverse. Plus les années passent, plus les divisions s’accentuent. Le projet d’accord qui est proposé aux Grecs est marqué du sceau de la conception allemande de la gouvernance en zone euro. Cette crise est une nouvelle étape dans l’histoire d’une zone monétaire qui ne peut fonctionner efficacement entre des Etats aussi différents les uns des autres. C’est une évidence économique.

Dès la mise en place de la zone monétaire, les dérives que nous observons aujourd’hui à travers la crise grecque étaient en germe. Huit jours avant le vote sur le Traité de Maastricht, j’avais écrit dans une tribune au Monde : «Ce n’est pas en engageant les pays de la Communauté dans des ajustements forcés qui ne tiennent aucun compte de leurs problèmes spécifiques, de leurs caractéristiques structurelles ou de leur degré de maturité économique que l’on retrouvera demain le chemin de la croissance». N’importe quel étudiant en première année d’économie aurait pu faire la même observation.

Le pari perdu de la solidarité

Les dysfonctionnements de la zone euro - qui se traduisent par une faible croissance générale et un biais profondément inégalitaire - n’ont pas d’autre origine que cette volonté de plaquer un modèle unique sur des économies différentes. Faut-il rappeler que le PIB de la zone euro est, en 2015, au même niveau qu’en 2007 alors que celui des Etats-Unis a progressé en moyenne de 2% par an depuis cinq ans? Faut-il rappeler que depuis la naissance de l’euro la production industrielle de la France a régressé de 12%, celle de l’Italie de 20%, celle de la Grèce de 20% (et l’investissement de 47%) alors que celle de l’Allemagne a bondi de 34% ?

La création de l’euro reposait sur le pari politique que les peuples abandonneraient vite leur souveraineté et que la solidarité financière et politique serait quasiment illimitée. Pari perdu. Chaque année qui passe démontre que les peuples de la zone euro veulent rester souverains et défendent avant tout leurs intérêts. Toutes les élections, tous les sondages d’opinion, toutes les réunions européennes, le confirment. En Grèce, le vote de janvier dernier en faveur d’un parti qui n’existait pas il y a encore quelques années et le référendum expriment l’indignation d’un peuple que l’on cherche à mettre sous tutelle.

La Grèce face à une guerre économique

L’alternance grecque n’a pas plu en haut lieu car elle était incompatible avec la politique d’austérité. Depuis le début de l’année, la Grèce a ainsi dû faire face à une vraie guerre économique. Dès le 29 décembre dernier, la pénurie a été organisée. Le FMI et l’Eurogroupe ont suspendu immédiatement les aides prévues dans le cadre du deuxième plan d’aide dans la perspective des élections et la BCE a refusé de verser les intérêts qui étaient dus sur les obligations grecques qu’elle détenait. Elle a surtout refusé lors de l’annonce du référendum l’augmentation des financements d’urgence qui permettait de compenser l’hémorragie de capitaux. La fermeture des banques grecques pendant quinze jours est une décision qui a paralysé toute la vie économique et créé un sentiment de peur et de chaos.

Les dirigeants politiques ont multiplié les déclarations guerrières. Jean-Claude Juncker avait prévenu dès le lendemain des élections : «Dire que tout va changer parce qu’il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c’est prendre ses désirs pour des réalités. […]. Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les Traités européens». Et, avant même les élections grecques, Angela Merkel avait laissé fuiter la menace d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Angela Merkel se savait en position de force. Elle savait que le risque systémique n’était plus le même qu’en 2010 puisque les banques avaient pu céder leurs créances sur la Grèce au cours de la période 2010-2012. Elle savait la Grèce en position d’extrême faiblesse puisque la dette grecque était en droit étranger et non en droit national (à la différence d’un pays comme la France dont la dette est à 97% en droit national). L’Allemagne était prête à faire un exemple. Pendant ces six mois de guerre intensive, la France n’a à peu près rien dit. Ce n’est que lorsqu’une menace a pesé sur l’intégrité de la zone euro, au lendemain du référendum, qu’elle a plaidé vigoureusement en faveur d’un accord fondé sur la prolongation des mesures d’austérité. Plutôt l’austérité que la fin d’un dogme (Grexit).

Dans leur projet d’accord, les dirigeants européens proposent aux Grecs un armistice sur des bases extrêmement dures : mise sous tutelle, accentuation de l’austérité, nouvel accroissement de la dette. L’inverse de ce que souhaitaient les Grecs. Tous les économistes, même ceux du FMI, semblaient d’accord pour dire que la politique conduite depuis cinq ans en Grèce avait échoué. Il est proposé d’accentuer cette politique…

Le problème monétaire demeure

A l’occasion de cette crise, les citoyens et les contribuables des pays de la zone euro ont découvert que cette politique qui a échoué a en plus un coût astronomique. Pour la France, 42 milliards d’euros de manière directe, 70 milliards avec les aides indirectes (Target2, BCE). On envisage désormais un troisième plan d’aide de 80 milliards à travers le MES, soit une quinzaine de milliards pour la France ! Et aucune réduction de la dette antérieure n’est proposée, principale revendication de la Grèce depuis six mois ! L’allongement de la durée de la dette et la diminution éventuelle des intérêts payés, déjà très faibles, ne résolvent rien.

Au moins ces aides auraient-elles pu être apportées à la Grèce dans le cadre d’une sortie amicale de l’euro, seul moyen de redresser la compétitivité de la Grèce. Même Valéry Giscard d’Estaing avait soutenu l’idée d’une sortie amicale de l’euro. La Grèce qui est asphyxiée par une monnaie trop forte va rester confrontée au problème essentiel, le problème monétaire.

Quant à la démocratie, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne sort pas grandie de cette crise. Le peuple grec vient de refuser à une très large majorité les mesures d’austérité et voilà que la seule réponse qui lui est apportée, c’est une accentuation de cette politique, avec une mise sous tutelle en bonne et due forme : vote des lois exigées par les dirigeants européens dans les trois jours, cantonnement d’une partie du patrimoine national en vue de privatisations, inspections régulières à Athènes sur la mise en place des mesures.

Après six mois d’une vraie guerre en plein cœur de la zone euro, un armistice extrêmement douloureux est proposé aux Grecs. Que le Parlement grec l’accepte ou non, que les Parlements nationaux le ratifient ou non, cet accord aura des répercussions incalculables sur l’avenir de la zone euro. Ceux qui ont toujours nié la possibilité d’une implosion future de la zone monétaire doivent maintenant être habités par le doute. La boîte de Pandore est ouverte.

Jean-Michel Naulot, Ancien banquier et l’auteur de «Crise financière, pourquoi les gouvernements ne font rien» (Seuil, octobre 2013)

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