Crise migratoire : « Sauver des vies en Méditerranée, est-ce un délit humanitaire ? »

Le gouvernement italien a décidé de soumettre les organisations non gouvernementales (ONG) pénétrant dans ses eaux territoriales lors d’opérations de sauvetage de migrants à un code de bonne conduite. Les organisations refusant d’y souscrire sont désormais exclues des futures opérations ou, du moins, appelées à y jouer un rôle secondaire.

Parmi les clauses imposées aux ONG figure, notamment, l’obligation d’accueillir, lors des opérations de sauvetage, un agent armé sur leurs bateaux. Les deux raisons à cette résolution, invoquées par le gouvernement de Paolo Gentiloni, sont, d’une part, le besoin d’assurer la sécurité des opérations, et, de l’autre, la nécessité de lutter contre une complicité croissante entre les ONG et les réseaux de trafiquants.

Il s’agit, dans les deux cas, de prétextes visant, en réalité, à délivrer un message de fermeté à l’opinion publique italienne tout en désignant, dans le cadre d’une entreprise de diabolisation en acte depuis plusieurs mois, un ennemi responsable d’une vague migratoire orchestrée à dessein.

Des réseaux d’accueil gangrenés par la corruption

L’opinion publique n’est pas insensible à ce type d’argument. Or la situation de départ est relativement simple : les mers italiennes sont submergées par des flots continus de migrants. Abandonnée à elle-même par l’Union européenne, et par les principaux états voisins recroquevillés sur leurs peurs et leurs égoïsmes, l’Italie peine à gérer la situation migratoire. La répartition des primo-arrivants sur le territoire est défaillante.

Les réseaux d’accueil, financés par l’Etat à hauteur d’un peu moins de quarante euros par migrant, sont gangrenés par la corruption. Les migrants, livrés à eux-mêmes, sont souvent exploités par des esclavagistes. Survient, à ce stade, une utilisation cynique de ce désastre par la Ligue du Nord, Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, et le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, victime lui aussi d’une dérive extrémiste sur le sujet.

Résultat : le Parti démocrate de Matteo Renzi, décide, en prévision des scrutins à venir, de changer de position sur les sujets migratoires. Car là réside l’unique horizon du microcosme politique italien : les élections législatives de 2018. Le gouvernement de centre-gauche, de commun accord avec l’Union européenne, principale responsable de ce drame humanitaire, a opté pour une stratégie de criminalisation des ONG afin de flatter l’affect d’un électorat légitimement inquiet d’une situation hors de tout contrôle.

Par quel moyen ? La création, de facto, d’un délit humanitaire et l’abandon d’un projet de loi visant à instituer, sous conditions, un droit du sol. Pourtant, comment ne pas comprendre qu’en acceptant la présence d’agents en arme sur ses embarcations, une organisation comme Médecin sans frontières, par exemple, qui n’a pas ratifié le code de bonne conduite et dont la vocation est de sauver des vies humaines, renoncerait à ses principes fondateurs de neutralité et d’impartialité ?

De même, comment ne pas comprendre que la présence d’agents armés lors de ces opérations de sauvetage risquerait de déboucher sur un processus de militarisation qui ne ferait qu’ajouter un risque de conflits armés à la tragédie migratoire en Méditerranée ? Comment oublier que les ONG ont sauvé, à elles seules, plus de 40 % des migrants embarqués sur ces bateaux de fortune ? Le raisonnement est donc vicié. Car il va de soi que si des organisations sont coupables de collusion avec des trafiquants, elles doivent être poursuivies et sanctionnées.

Le passé, source d’enseignement

Mais est-il pour autant raisonnable d’alimenter un climat de suspicion généralisée qui débouchera sur un accroissement de la tension sociale ? Ce qui n’empêche évidemment pas l’analyse individuelle des demandes d’asile et, le cas échéant, l’éloignement du territoire. L’Italie ne peut accueillir tous les migrants. Mais sauver des vies humaines et traiter rigoureusement les demandes d’asile sont deux choses différentes.

Fallait-il renoncer à ses principes au point de ne plus vouloir accorder la nationalité d’un enfant né en Italie d’au moins un géniteur disposant d’un droit de séjour définitif, dans le seul but de récolter les fruits de la droitisation des électeurs lors du scrutin de 2018 ? N’est-il pas évident qu’ajouter le mal-être identitaire à la pauvreté économique chez ces jeunes issus de l’immigration, présents qu’on le veuille ou non sur le territoire, risque de déboucher sur un cocktail explosif ?

Au lieu d’amalgamer immigrés légaux et migrants fuyant clandestinement les côtes libyennes, ne vaut-il pas mieux penser une intégration réussie, inclusive, non laxiste, conforme aux idéaux de cette République italienne née sur les cendres du fascisme ?

Le passé, pourtant, surtout en Italie, devrait être source d’enseignement : la faiblesse morale des institutions fut, il n’y a pas si longtemps encore, la principale porte d’accès des pires aventures politiques que connut le pays.

Guiseppe Santoliquido est l’auteur, notamment, de Italie, une démocratie pervertie ? (Ker éditions, 2011) et Bunga Bunga, mode d’emploi : les dessous choc du système berlusconien (Renaissance du Livre, 2012).

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