Daech ou le pari du calife

Le 7 mars, l’émir du groupe nigérian Boko Haram a prêté allégeance à l’Etat islamique (EI). Ainsi, le dixième groupe terroriste mondial est venu grossir les rangs du premier. Dès son accession à la tête de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi avait fait le pari fou de diriger toute la communauté musulmane mondiale, de gré ou de force. Pour réaliser son ambition, il choisit de rétablir l’institution califale à cheval entre l’Irak et la Syrie.

Abou Bakr al-Bagh-dadi, calife autoproclamé de Daech, n’est pas qu’un excellent communicant. Le jihadiste le plus recherché du monde s’avère être aussi un stratège hors pair. Afin d’étendre son influence, celui qui se surnomme «calife Ibrahim» troque aisément son uniforme de chef de guerre pour la toge de chef des croyants. Seul digne d’organiser et de protéger la foi, le calife signifie, littéralement, le successeur du Prophète. La doctrine lui accorde le pouvoir de fédérer tous les musulmans du monde sous la bannière du califat. Or, Al-Baghdadi est aussi à la tête de l’organisation islamiste connue sous le nom d’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). S’il doit diriger les cinq prières quotidiennes, sa mission consiste surtout à élargir les rangs de son organisation terroriste. Alors, pour dynamiser le recrutement, il opère des rapprochements avec d’autres groupes islamistes, accepte les serments d’allégeances, et joue ainsi sur la dualité ambivalente de ses fonctions.

L’institution califale dirigée par Daech établit peu à peu un système réticulaire d’alliances, qui confère au califat une dimension planétaire. Après les exploits militaires en Irak et en Syrie, le ralliement de groupuscules en Egypte et en Libye, Daech continue son expansion et atteint le Nigeria. La conquête de l’Afrique noire débute par ce bay’ah, le serment d’allégeance prêté, samedi 7 mars, par l’émir du groupe islamiste Boko Haram, Abubakar Shekau : «Nous annonçons notre allégeance au calife […] que nous écouterons et auquel nous obéirons dans les difficultés comme dans la prospérité.»Depuis, la jihadosphère s’impatiente de la réponse du calife. Le chef de Boko Haram sera sans doute bientôt nommé premier sultan du calife Ibrahim. La planète tremble et les réseaux sociaux s’affolent. Les attentats du 11 septembre nous ont livré un enseignement primordial, qu’il convient de rappeler. La puissance du terrorisme ne réside pas tant en sa capacité destructrice, mais en ce qu’elle induit, les mauvais présages qu’elle augure. Le rapt de 219 lycéennes, les massacres et autres exactions commises par ces groupes islamistes ne marquent qu’un temps nos esprits. En revanche, le terrorisme cherche à établir le règne de la terreur. Précisément, le jihad terroriste vise nos inconscients, de sorte que nous ayons peur de devenir, à notre tour, les cibles de ces organisations.

Abubakar Shekau avait déjà déclaré, fin août 2014, instaurer son propre califat dans son fief de Gowza. L’intérêt pour Boko Haram de prêter allégeance au califat de l’Etat islamique est de solliciter un soutien des jihadistes face à l’offensive des forces africaines (composées du Tchad, du Niger, du Cameroun, du Nigeria et bientôt du Bénin) et sans doute d’obtenir des financements. Grâce à l’or noir, la fortune de l’Etat islamique s’élève de 2 à 3 milliards de dollars par an, tandis que le revenu de Boko Haram s’estime en millions de dollars (près de 52 millions de dollars), selon un classement réalisé par Forbes. Les écrits divinateurs d’Al-Souri, traduits par l’islamologue Gilles Kepel, révèlent la vision cauchemardesque à l’œuvre dans cette alliance. L’idéologue du jihad terroriste dévoile au calife comment réussir son pari et exploiter un immense réseau en puissance. La stratégie d’Al-Qaeda, qui consistait à frapper d’un grand coup les Etats-Unis, et exposer ainsi la faiblesse d’un colosse aux pieds d’argiles, ne galvanise pas les foules arabes. Trop lointain, le «Grand Satan» vacille à peine et riposte lourdement.

Pour mobiliser le soutien du monde musulman, l’idéologue préconise de s’en prendre à des cibles plus proches et accessibles, les apostats. En Irak et en Syrie, les théâtres d’affrontement du jihad déciment les infidèles. Les «mauvais musulmans» font donc l’objet d’une traque orchestrée par les islamistes. Faut-il rappeler que les principales victimes du jihad sont les musulmans ? La communauté internationale peut anticiper les conséquences de l’annonce d’une fusion de ces groupes terroristes au sein du califat, hégémonique et belliciste. Avant de s’abandonner à la terreur, les sociétés occidentales ont encore peu de raisons de s’inquiéter du rapprochement entre Boko Haram et l’Etat islamique. Cette fois-ci, la réaction ne doit pas être dictée par l’état d’urgence. Imminent, le danger est immense pour les populations musulmanes qui ne respectent pas à la lettre le prêche des islamistes. S’il accepte d’intégrer Boko Haram, le calife réitère son pari, et continue à tisser sa toile jihadiste sur le monde musulman.

Par Solal Azeroual, Diplômé de Sciences-Po Aix-en-Provence. Auteur du mémoire : «La Rhétorique du jihad».

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *