De la part impérissable du loup dans l’homme

Avant, les animaux étaient encore des animaux. Il y a deux décennies, ils ont fait un saut évolutif. Aujourd’hui ils font partie de la société humaine. Il est donc logique que le monde animal soit assisté par un chasseur qui s’occupe de leur bien-être et chasse toute violation de la loi sur la protection des animaux: nous voterons le 7 mars à ce propos. Avec, en toile de fond, l’idée implicite qu’on peut gagner de l’argent avec les animaux. Quelque trois millions d’animaux de compagnie vivent en Suisse, et leurs propriétaires dépensent près d’un milliard de francs pour leur alimentation et leur entretien. Intéressés par la manne, les avocats entendent ouvrir un nouveau marché: jouant le rôle de procureur, ils veulent tenir les gens par le collier pour le bénéfice de la faune. Ils exercent des pressions pour le compte des organisations de la protection des animaux. Quant au canton de Zurich, il dispose déjà d’un avocat pour la protection des animaux (Tierschutzanwalt).

Je l’affirme: je n’ai rien contre les animaux. Quand j’étais enfant, j’ai eu un hamster, un cochon de Guinée et deux lapins nains. Ils sont tous morts. Soit de vieillesse ou à la suite d’échecs de reproduction. Depuis, je n’ai plus eu un seul animal de compagnie. Depuis quelques années j’ai même renoncé à consommer de la viande, non pas parce que j’aime particulièrement les animaux, mais parce que je n’aime pas la viande et que mon taux de cholestérol est trop élevé.

Je crois que les animaux ne devraient pas être torturés. D’ailleurs, la législation suisse de protection des animaux fixe le cadre juridique. Mais, pour moi, l’animal reste toujours un animal. Je me rends compte que je suis l’un des rares à voir encore les choses comme cela. On me rétorquera peut-être que je peux bien penser ainsi parce que j’ai une famille, que je suis socialement intégré et suis pourvu d’amis.

Pour moi, l’animal ne remplace pas la famille. Ce n’est pas non plus un accessoire de mode ou une arme. Je n’ai pas besoin d’un furet, ni d’un python, ni d’un chien à la mode pour combler mon manque de confiance en moi. Il en va très différemment des propriétaires de chiens de combat qu’immanquablement je croise avec leur compagnon à quatre pattes au bord de la Limmat. Souvent sans muselière. Je ne manque jamais les femmes chics de la Goldküste qui promènent leur petit carlin essoufflé. N’était-ce pas le Jack Russell qui était à la mode au début des années 2000?

Nous avons perdu la conscience de l’animal qui est dans l’animal de même que la conscience de l’animal qui est en nous. Sous nos latitudes, nous n’avons plus à craindre les animaux sauvages depuis 150 ans: la conquête de la nature par l’homme a rendu possible la libre circulation. Or, ce développement va s’inverser. Le règlement concernant l’ours et le loup sont des signes des temps. Les gens ont oublié que les animaux sauvages sont dangereux. Qui donc protège les moutons du loup en Valais?

L’humanisation croissante de l’animal ne s’arrête même pas à la porte des églises. Les Eglises de Suisse bénissent les animaux une fois par année. C’est pourtant bien la conscience qui distingue l’humain des animaux: nous sommes capables de penser au lendemain et nous sommes conscients de notre passage sur terre. Et si à l’avenir je décidais de me marier avec mon chat? Aurais-je besoin de prouver que nous avons une relation stable pour recevoir une absolution gratuite de l’Eglise?

L’introduction d’un avocat pour animaux est un pas vers la protection de l’animal par l’homme. Les enfants qui arrachent une jambe à une mouche vont-ils risquer une peine? Où va nous conduire cette évolution? Est-ce que les veaux auront une équipe spécialisée auprès d’eux dans les abattoirs? Tout est possible. Florianne Koech­lin, membre de la Commission fédérale d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain, va plus loin: elle soulève la question de savoir si nous devons continuer à manger des salades et couper des arbres, et si oui, comment nous devons tuer les plantes, qu’elle qualifie d’«organismes vivants».

L’homme a subordonné la nature. Maintenant, le mouvement inverse est en cours. A un moment ou à un autre, dans les pays occidentaux nous allons mourir de faim en harmonie avec la nature et de façon éthiquement correcte. Pendant ce temps, les avocats se seront remplis les poches avec la protection des animaux.

Philippe Welti, consultant en communication à Zurich.