De la résignation à l'action européenne

L'idée d'un pilotage économique de l'Europe défendue depuis longtemps par les radicaux de gauche semble enfin faire son chemin, au moins déjà à vingt-sept, à défaut de l'organiser de façon plus étroite au sein de la zone euro. Il paraît urgent d'avancer en ce sens pour ne pas enfermer l'Union européenne dans une série de mesures financières de sauvetages dont aucune relance économique ne prendrait le relais. En effet, après avoir sauvé les banques, apporté une aide à la Grèce assortie de conditions très sévères, les pays de l'Union européenne restent prisonniers de vieux réflexes qui font penser plus à la politique d'avant-guerre, aux USA d'Hoover plutôt qu'à celle de Roosevelt. Nous en connaissons les désastreux résultats. La rigueur est devenue, sinon le maître mot, en tous les cas l'axe de politiques essentiellement régressives sous prétexte de nécessaires économies ou remises en ordre des finances de nombreux Etats.

Si personne ne nie le besoin de redéployer l'action des Etats, rien ne justifie qu'ils prennent le risque de casser toute croissance et d'entraîner un nombre important de chutes d'entreprises avec à la clef un chômage amplifié et des inégalités sociales accrues.

L'Union européenne doit donc se donner un cap et passer des actions de sauvetage aux actions en faveur d'une croissance durable répondant désormais à des critères sociaux, environnementaux et civiques autant qu'économiques.

Pourquoi ne pas amorcer le pilotage, trop timidement annoncé, par la mise en place d'un outil que serait un "Fonds d'investissement et de développement européen" qui viendrait soutenir, aux côtés notamment de la Banque européenne d'investissement (BEI), de grands projets européens en accélérant et complétant la stratégie "Europe 2020" adoptée par la Commission en mars dernier. L'objectif du passage de la recherche-développement à 3 % ne pouvant attendre dix ans ! D'autres actions annoncées devant être musclées ; par exemple celles relatives à la stratégie numérique, à la politique industrielle ou– bien sûr – à l'environnement.

VERS UN PILOTAGE SOCIO-ÉCONOMIQUE EUROPÉEN

Par ailleurs, la politique européenne des transports, par exemple, doit absolument être coordonnée, notamment sur le plan ferroviaire : la concurrence entre les sociétés de chemin de fer paraissant plus contre-performante que stimulante ; voie absurde alors que l'Europe a intérêt à faciliter la circulation des personnes et des marchandises en son sein ! D'autres ambitions, autant sociales – comme l'a souligné la Confédération européenne des syndicats – qu'économiques, devant venir compléter les sept initiatives phares listées par la Commission européenne ; notamment pour mettre en œuvre une politique de soutien aux entreprises à "gouvernance partagée" et respectueuses de l'environnement que ce soient celles relevant de l'économie sociale ou celles à forme actionnariale acceptant de s'engager dans cette voie. Pour aussi établir des services européens d'intérêt général efficaces par exemple dans le domaine de la poste.

Le montant du Fonds d'investissement et de développement européen pourrait être fixé (alors que le budget de l'UE a été seulement de 133 milliards d'euros en 2009), pour une première tranche, à 100 milliards d'euros (ce qui correspond au chiffre cité par le président de l'OFCE Jean-Paul Fitoussi lorsqu'il suggérait un grand emprunt européen) et être notamment alimenté par des titres convertibles en actions, parts sociales, obligations d'entreprises ayant bénéficié de son soutien. Il pourrait donc être financé pour partie par des Etats, des investisseurs institutionnels et pour partie par des souscripteurs individuels. D'autres tranches devant être ensuite envisagées, un comité européen de "planification active" devant être constitué et chargé de préparer l'avenir de façon opérationnelle et flexible en consultant l'ensemble des acteurs concernés : entrepreneurs privés, d'économie sociale et publics, syndicats, universitaires et chercheurs, consommateurs…

De telles mesures – permettant d'aller vers un pilotage socio-économique européen très concret – devraient être proposées par le gouvernement français à ses homologues européens et donc  aux instances de l'Union européenne. Ceci avant même la tenue du G20 alors que le président des Etats-Unis, M. Obama, plaide, de son côté, pour une politique internationale de relance. Ceci pourrait avoir l'avantage d'obliger l'Union à se donner des objectifs précis et non plus incantatoires, et, du coup, de forger une gouvernance adaptée. Ce serait aussi l'occasion de mobiliser les forces économiques et sociales européennes qui appellent, elles aussi, à l'action et non pas seulement à la réparation.

L'Union européenne pourrait ainsi évoluer de façon pragmatique vers un fédéralisme innovant lui faisant oublier les faux pas et querelles survenues lors de l'adoption de textes et traités ambigus et confus qui ont retardé plus que conforté sa démarche. La multiplicité des crises sociales, sanitaires, alimentaires, climatiques, économiques, est telle, dans le monde, y compris sur ce continent, qu'il est temps de créer une nouvelle dynamique européenne permettant à l'UE de jouer un rôle moteur dans une mondialisation appelée à être régulée.

Thierry Jeantet, vice-président du Parti radical de gauche.