De Macron à Juncker, quel manque d’audace pour la Catalogne

Lors d'une manifestation pour l'indépendance à Barcelone, le 2 octobre. Photo Pierre-Philippe Marcou. AFP.
Lors d'une manifestation pour l'indépendance à Barcelone, le 2 octobre. Photo Pierre-Philippe Marcou. AFP.

En septembre, après les discours d’Emmanuel Macron sur la Pnyx à Athènes et à la Sorbonne à Paris, la construction européenne était sur le point d’être relancée. Début octobre, pourtant, face à la crise hispano-catalane, quel classicisme et quel immobilisme !

L’Union européenne a bâti la notoriété de sa «marque» sur sa capacité à promouvoir dans l’espace mondial la résolution des différends par l’innovation juridique et le dialogue politique. A telle enseigne que le prix Nobel de la paix lui a été remis en 2012. Qu’est-ce qui peut donc bien justifier que les 27 partenaires de l’Espagne au sein de l’UE déclarent dans un bel ensemble qu’ils n’ont pas à se mêler de la crise catalane ?

Avec la construction européenne, les Européens inventent depuis soixante-dix ans un processus inédit de mutualisation des politiques publiques et des territoires nationaux. En inventant l’UE, et avant elle la CEE, les Etats-nations sont devenus des Etats-membres d’une entité territoriale non pas post-nationale, mais post-nationaliste. La souveraineté, réputée indivisible depuis Jean Bodin, magnifiée par le concert européen des nations du XIXsiècle, est devenue, avec l’UE, divisible et mutualisable. La monnaie, attribut par excellence de la souveraineté régalienne, est mutualisée. La régulation de la circulation des hommes comme des biens matériels et immatériels, apanage emblématique de l’Etat territorial puis de l’Etat-nation, a été mutualisée. Et voilà que les dirigeants européens entonnent le vieux refrain, pré-traité de Rome, pré-9 mai 1950, et westphalien, de charbonnier est maître chez soi !

Déni de légitimité démocratique

Depuis l’adoption en douce du Traité constitutionnel européen, rejeté en 2005 puis ravalé en traité de Lisbonne, les dirigeants de l’UE sont pourtant bien placés pour connaître le prix populiste du déni de légitimité démocratique. Ils devraient être conscients que leurs peuples et le monde les regardent et les jaugent à l’aune de leur capacité à faire prospérer et prolonger ce paradigme moderne d’une souveraineté et d’une territorialité mutualisées. Cela vaut à tous les échelons : celui des Etats-locaux, celui des Etats-nations et celui de l’UE, seul méta-Etat supranational. L’UE, en matière de souveraineté et de territorialité, c’est déjà le nouveau monde ! Le savoir-faire accumulé est immense : 6 puis 28 Etats-nations y sont parvenus ensemble. Et donc, ces 27 orfèvres en la matière, avec leur Conseil, leur Commission et leur Parlement européens, n’envisageraient pas d’offrir leur expérience et leur compétence collectives au 28e, l’un des leurs, l’Espagne ?

D’autant plus que, celle-ci étant pionnière depuis près de cinquante ans en matière d’autonomisme et d’orchestration des échelles de souveraineté, il n’y a aucune bonne raison de laisser Catalans et Espagnols s’enferrer dans une situation de pré-guerre civile où tous sont perdants. En parlant sur la crise catalane la langue de 1815, les dirigeants européens, dont Macron, ruinent d’emblée leur crédibilité à relancer l’UE et à résoudre les problèmes du XXIe siècle.

Sylvain Kahn, professeur agrégé au département d’histoire de Sciences Po et chercheur associé à l’UMR Géographie-cités/Université Paris Diderot

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