De retour d’Afrique, la fureur et la consternation

Les géologues nous disent que nous sommes brutalement rentrés dans l’Anthropocène, une nouvelle étape géologique qui signifie que nous avons basculé dans l’ère de l’Humanité. L’Homme, en peu de temps, est devenu son propre facteur d’évolution, il est lui-même une force géologique.

«Je déplore que le sort de l’humanité soit dans d’aussi mauvaises mains que les siennes», disait, déjà, au XVIIIe siècle le philosophe Julien Offray de La Mettrie. Pour ma part, je me bats avec bien d’autres pour donner tort à cette sentence. Je considère que tant que l’avenir dépend de nous, l’improbable est possible et le meilleur aussi. Sauf que la fenêtre d’opportunité entre ce que nous pouvons décider ou ce que nous devrons subir se réduit à chaque instant.

Mais j’avoue, qu’au retour d’un déplacement au Sahel, je me demande, dans un accès de colère, si l’avenir ne va pas va pas cruellement donner raison au philosophe. «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme», disait Rabelais. Science sans conscience sera la ruine de l’Homme oserai-je paraphraser !

Ce qui motive ma fureur de l’instant (mauvaise conseillère), c’est le contraste saisissant entre la situation de l’Afrique et ce qui occupe notre attention, ici. Une Afrique, engluée dans les conflits, qui subit déjà pour une partie des conditions climatiques difficiles et qui voit le phénomène tragique de désertification s’accélérer. Une Afrique, abreuvée de nos bonnes intentions, rarement suivies de réalisations concrètes. Une Afrique, qui attend, désespérément, la matérialisation des innombrables engagements énoncés ci et là et notamment au sommet de Copenhague. Une Afrique, qui, en définitive, aura toute légitimité pour se détourner du Nord si celui-ci ne remplit pas d’urgence ses obligations. La désertification sera aux portes de l’Europe entre 2000 et 2020, et 60 millions de personnes, nous dit Monique Barbut, secrétaire exécutive de la convention des Nations unies sur la désertification.

A peine revenu du Sénégal et parcourant d’un œil distrait, mais consterné, la presse de ces derniers jours, je remarque combien, une fois de plus, nous avons inversé l’ordre des priorités entre l’utile et le futile. Le futile, l’inutile et même le sordide malheureusement préempte l’attention et détourne de l’essentiel. Le summum fut atteint avec le fait divers Nabilla. Nous étions proches de l’orgasme médiatique. Il y a encore quelques semaines, c’était l’hystérie collective à propos de la publication d’un livre d’une ex-première dame, événement qui aurait dû se réduire à une simple brève dans les journaux. Comparé au traitement insignifiant dont bénéficie la publication du dernier volet du cinquième rapport du Giec qui met ni plus ni moins en lumière l’incertitude de plus en plus forte sur l’avenir de l’humanité, avouons qu’il y a de quoi pleurer. Si l’on ajoute à cela le spectacle constant et désolant des affaires, et comme un climat permanent d’élection présidentielle, avec son lot de petites haines et phrases assassines qui fait le bonheur de l’info continue et de ses commentateurs avisés, garder espoir devient un acte de bravoure.

Paris va accueillir, en décembre 2015, la conférence climat où 195 Etats vont décider pour le meilleur, je l’espère ou pour le pire je le crains, de l’avenir de la planète et donc de l’humanité. Cet enjeu éminent, complexe, qui oblige à combiner deux notions de temps, le court terme et le long terme, et à remettre à plat un modèle économique, dopé depuis cent cinquante ans par l’usage des énergies fossiles qui aujourd’hui ne sont plus la solution mais le problème.

La France, qui sera sous les regards du monde entier, doit se ressaisir et renouer avec la hiérarchie des priorités. Chacun de nous doit prendre sa part de responsabilités dans cette prééminence du futile. Par cette complaisance silencieuse envers le frivole, nous nous perdons. Car derrière nos différences culturelles, politiques ou sociales, c’est notre responsabilité de parents qui doit primer. Ne sacrifions pas l’avenir de nos enfants à l’aune de nos futilités !

Nicolas Hulot, journaliste, fondateur d’Ushuaïa. Envoyé spécial de François Hollande sur les changements climatiques (en mission au Sénégal du 5 au 8 novembre).

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