Défense européenne : « La France doit proposer une feuille de route ambitieuse ! »

Le 25 mai, le président français, Emmanuel Macron, et le président américain, Donald Trump, participent à leur premier sommet de l’OTAN. Le premier guidé par le souci d’une France forte dans une Europe qui protège ; le second guidé par le souci d’obtenir des engagements européens en matière de défense et de lutte contre le terrorisme. Rarement le contexte n’a été aussi favorable à la refondation de la défense européenne.

La sécurité est devenue depuis deux ans l’une des premières préoccupations des citoyens européens. La menace – attentats terroristes, cyberattaques, manœuvres militaires, intrusions aérienne et maritime – n’a jamais autant pesé sur la France et sur ses voisins européens : elle n’a plus de frontières.

Dans le même temps, le monde se réarme de manière significative. L’Europe, elle, poursuit son déclassement militaire. Elle ne représente que 15 % de l’effort de défense mondial, contre plus de 20 % il y a encore dix ans ; et, après le départ du Royaume-Uni, elle passera au 3e rang des puissances militaires, derrière les Etats-Unis et la Chine.

Enfin, le président Trump confirme une réorientation stratégique amorcée par la précédente administration : il n’y aurait plus d’automaticité de la réponse de Washington face aux menaces dirigées contre l’Europe. Et le partage du fardeau, à la fois financier et opérationnel, sera au cœur des discussions des chefs d’Etat et de gouvernement à l’OTAN, le 25 mai.

Priorité à la protection des citoyens européens

C’est aux dirigeants européens qu’il revient désormais de protéger leur continent, leurs citoyens et leurs intérêts. Plusieurs Etats membres réintroduisent le service militaire obligatoire, mettent en place des réserves citoyennes ou augmentent le nombre de militaires. Presque tous ont décidé de relancer à la hausse les budgets de défense.

Mais, comme l’a proposé le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans son Livre blanc sur le futur de l’Union, la réponse doit être européenne : il ne peut y avoir de souveraineté nationale que dans l’exercice d’une souveraineté européenne. C’est ainsi que sera atteinte la masse critique permettant d’être perçu comme un acteur militaire crédible et de développer les instruments de la sécurité européenne.

Les opérations menées par l’Union européenne (trente-cinq depuis 2003) visaient jusqu’à présent à gérer des conflits extérieurs, essentiellement en Afrique. Les manœuvres russes et les attentats commis par Daesh sur le sol européen ont changé la donne. La priorité va à présent à la protection des citoyens européens, y compris sur le territoire européen.

Avancer vers une défense commune

Le logiciel de la défense européenne doit être drastiquement repensé pour répondre à ce défi. A titre d’exemple : l’Europe compte 1,5 million de soldats, mais seuls 5 000 militaires sont actuellement engagés dans les missions européennes. Les Etats membres consacrent 200 milliards d’euros à leur défense et restent pourtant dépendants de pays tiers pour leurs engagements extérieurs.

Malgré l’existence d’une Agence européenne de la défense, les doublons entre armées sont chiffrés à hauteur de 35 milliards d’euros par an. Les Européens ne disposent ni des instruments pour planifier et conduire des opérations complexes de lutte contre le terrorisme, ni des protocoles de réponse à des attaques territoriales ou contre des infrastructures critiques. Enfin l’effort de solidarité financière pour les opérations européennes ne représente que 50 millions d’euros par an, soit 0,025 % du budget consacré par les Etats membres à leur défense.

Le traité de l’Union européenne prévoit la possibilité d’avancer vers une défense commune. Le 7 juin prochain, la Commission proposera aux Etats membres des options sur le futur de la défense européenne à horizon 2025. Il revient aux chefs d’Etat et de gouvernement européens de décider : le Président nouvellement élu Emmanuel Macron, qui avait fait de la défense européenne un axe fort de sa campagne, aura un rôle décisif pour impulser auprès de ses homologues une nouvelle dynamique.

Enclencher une nouvelle dynamique

En effet, il est à présent temps pour la France de faire preuve d’audace et de vision et de proposer plus d’intégration de l’outil de défense européen. Comment enclencher cette nouvelle dynamique ?

Premièrement, par un effort d’intégration franco-allemand sans précédent. L’Allemagne est un acteur de plus en plus engagé militairement, y compris en Afrique. Après la sortie de Londres de l’Union, Paris et Berlin représenteront 50 % de l’effort de défense européen. Pour la première fois pourrait être proposée la nomination d’un Haut-Commissaire commun, chargé de la rédaction d’un Livre blanc franco-allemand.

Une telle revue définirait un niveau d’ambition militaire commun et des intérêts stratégiques convergents. Elle permettrait de rapprocher les planifications capacitaires des deux pays. Plusieurs fonctions et commandements nationaux devraient être intégrés, suivant l’exemple de la base commune crée à Evreux récemment. Elle devrait enfin inciter au déploiement plus systématique des troupes sur les théâtres d’opération, notamment pour lutter contre le terrorisme.

Le bras armé de l’Europe

Deuxièmement, par la mise en place d’une Union de la défense, complémentaire à l’OTAN. Une telle Union devrait être le bras armé de l’Europe. Elle pourrait reposer sur les éléments suivants :
– Un quartier général européen civilo-militaire, doté d’environ 400 personnes, capable de développer une évaluation de la menace, de planifier et de conduire des opérations civiles et militaires de haute intensité ;
– Une force européenne permanente de réaction rapide placée sous l’autorité et la responsabilité de cette Union de la défense, prépositionnée sur le territoire européen et capable d’être déployée en quelques jours ;
– Un fonds européen de défense capable de financer de la recherche et des programmes de défense en coopération et de faciliter la mise sur pied de capacités multinationales. Les moyens de surveillance et d’anticipation, les moyens de communication et de navigation sécurisés et le transport stratégique sont notamment des priorités ;
– Une agence européenne de cyberdéfense, capable de soutenir des infrastructures critiques ou des Etats membres victimes de cyberattaques.
– Enfin, la mise en place d’une académie militaire européenne, ouverte aux officiers des Etats membres, et qui faciliterait le développement d’une culture militaire européenne, à ce jour inexistante.

Un nouvel horizon

Après le départ du Royaume-Uni, la France sera en Europe la seule puissance nucléaire, la première puissance militaire en Europe et le seul membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle doit ainsi être la force d’entraînement vers la mise en place d’une Union de la défense, capable de répondre aux menaces, d’intervenir dans son voisinage immédiat et de prévenir les crises.

L’Europe se cherche un nouvel horizon. Cette Union de la défense pourrait préfigurer la réorientation du projet européen vers plus de protection. Cette Union de la défense garantirait à terme l’exercice plein et entier de la souveraineté des Etats membres.
Au président français, Emmanuel Macron, et à sa ministre des armées, Sylvie Goulard, de proposer une feuille de route ambitieuse !

Par Guillaume de La Brosse, conseiller en charge des questions de défense et de sécurité à la Commission européenne.

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