Deir el-Zor : un pont russo-americain contre l’EI ?

La situation de la population et de l’armée syrienne, encerclée à Deir el-Zor par l’Etat islamique (EI), au nord-est de la Syrie, est de plus en plus critique. La ville ne peut plus être ravitaillée que par les airs. L’EI accentue sa pression pour reprendre la totalité de la ville avant que l’armée syrienne n’ait réussi à rouvrir la voie terrestre depuis Palmyre. Car il serait pris en tenaille dans le nord-est syrien entre l’armée syrienne et les Kurdes, qui progressent vers Deir el-Zor depuis Hassaké. La jonction des YPG kurdes [branche armée du Parti de l’union démocratique kurde syrien, ndlr] avec l’armée syrienne couperait les communications de l’EI entre Raqqa et Mossoul.

La situation militaire de Deir el-Zor est comparable à celle d’Alep

Deir el-Zor a connu le même sort qu’Alep puisque, durant l’été 2012, les rebelles sont entrés dans la ville et se sont emparés de plusieurs quartiers. L’armée gouvernementale a abandonné le reste de la province et s’est regroupée sur la rive droite de l’Euphrate, entre la ville, l’aéroport et la route de Palmyre. Alors que l’EI chassait les rebelles et prenait le contrôle d’une partie de Deir el-Zor, toutes les tentatives de l’armée syrienne pour reprendre la totalité de la ville ont échoué. La défense de l’aéroport est devenue cruciale pour leur survie avec le risque de subir le même sort que les défenseurs de la base militaire de Tabqa, tous égorgés par l’EI en novembre 2013.

L'Etat islamique est pris en tenaille dans le nord-est syrien. Fabrice Balanche, BIG.
L'Etat islamique est pris en tenaille dans le nord-est syrien. Fabrice Balanche, BIG.

L’Etat islamique s’est déjà introduit dans le périmètre contrôlé par l’armée syrienne à plusieurs reprises. En janvier 2016, il a envahi le quartier de Baghiliyya dans le nord de Deir el-Zor, tuant 280 personnes et faisant 400 prisonniers. Le quartier a été repris par l’armée et la Défense nationale. Cette dernière joue un rôle crucial dans la défense de la ville. Les raids meurtriers de l’EI dans la ville et les massacres de population civile, tel que celui perpétré en août 2014 contre la tribu Sheitat (700 morts), ne laissent pas d’autre alternative à la population de l’enclave gouvernementale que de se battre en attendant que l’armée syrienne ne parvienne à ouvrir de nouveau la route de Palmyre avec l’aide de la Russie.

Deir el-Zor occupe une position stratégique face à l’EI. La progression depuis Palmyre est lente, car la reprise des combats au nord-ouest de Lattaquié, et surtout à Alep, a obligé l’armée syrienne à retirer une partie des troupes destinées à ouvrir la route de Deir el-Zor. De plus, l’EI reste puissamment implanté dans le djebel Abou Rujmayyn, entre Salamyeh, Ithriyah et Palmyre, menaçant les routes d’Alep-Salamyeh et Homs-Palmyre, qui ont été coupées la semaine dernière. Il s’agit d’une menace permanente aussi pour Palmyre, qu’il conviendrait d’éradiquer avant d’avancer vers Deir el-Zor. Mais les assauts répétés de l’EI rendent la situation très précaire à Deir el-Zor. Après un an de siège, les 100 000 habitants de l’enclave ne survivent que grâce aux parachutages de nourritures, car l’aéroport militaire n’est plus accessible aux avions-cargos. L’accentuation des pressions de l’EI sur Deir el-Zor ces derniers mois s’explique par les différents revers qu’il subit face à l’armée syrienne à Palmyre et à l’est d’Alep, mais également vis-à-vis des Kurdes au nord de Deir el-Zor. Depuis l’été 2015, les YPG (forces kurdes) et leurs alliés arabes au sein de Forces démocratiques syriennes ont nettement progressé vers le sud pour se positionner à seulement 35 kilomètres de Deir el-Zor. En Irak, les forces liées au PKK et au PDK ont définitivement chassé l’EI du Sinjar. Désormais, les communications entre Mossoul et Raqqa sont clairement menacées. L’enclave gouvernementale de Deir el-Zor est donc devenue une cible prioritaire pour l’EI.

Les deux ponts sur l’Euphrate de Deir el-Zor ont été détruits. Cela prive désormais l’armée syrienne de la possibilité de reprendre pied rapidement sur la rive droite de l’Euphrate, car les ponts les plus proches sont situés à 70 kilomètres à l’ouest (Muqlah) et 50 kilomètres au sud-est (Mayadin). C’est donc plus sur les forces kurdes des YPG et leurs alliés des Forces démocratiques syriennes (FDS) qu’il faut compter pour couper la route qui relie Mossoul à Raqqa. Mais, en rétablissant son contrôle sur la route Deir el-Zor - Palmyre, l’armée syrienne empêche l’EI d’ouvrir une route alternative sur la rive gauche de l’Euphrate et de se servir du fleuve comme d’une protection naturelle contre toute force venant du nord.

Vers une coopération russo-américaine ?

Au final, la survie de l’enclave de Deir el-Zor est fondamentale dans la lutte contre l’EI. La jonction entre l’armée syrienne et les Kurdes de YPG et les Forces démocratiques syriennes à Deir el-Zor permettrait d’encercler l’EI en Syrie et de préparer l’assaut sur Raqqa. Cela implique que l’aviation américaine soutienne l’avancée des YPG-FDS vers Deir el-Zor, tandis que les avions russes accompagnent la progression des forces gouvernementales depuis Palmyre. Deir el-Zor pourrait ainsi devenir le Torgau (1) du Moyen-Orient. Une rencontre sur les rives de l’Euphrate entre pro-russes et pro-américains qui rappellerait celle du 25 avril 1945 à Torgau sur les rives de l’Elbe.

Fabrice Balanche, Géographe, chercheur invité au Washington Institute.


(1) Cette ville de Saxe fut point de jonction, le 25 avril 1945, entre l’armée américaine, arrivant de l’Ouest, et les troupes soviétiques, venant de l’Est.

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