Démonter les fausses promesses économiques des indépendantistes catalans

En février 2012, Artur Mas, président de la Catalogne, déclarait au Monde : « Le déficit budgétaire de la Catalogne est de 8,5 % du PIB. En Allemagne, le déficit des Länder est limité à 4 %. C’est ce que nous demandons. » Oriol Junqueras – chef du parti indépendantiste Esquerra Republicana de Catalunya, ERC – a raconté la même histoire dans une lettre adressée à tous les députés européens.

Les hémérothèques débordent d’exemples du discours indépendantiste selon lequel le gouvernement fédéral allemand publie tous les ans, dans un louable exercice de transparence démocratique, les soldes budgétaires de ses Länder, c’est-à-dire la différence entre les impôts que chaque Land apporte au trésor fédéral et ce qu’il reçoit de celui-ci sous forme de transferts et de services publics ; discours selon lequel ce solde est limité par la Constitution à 4 % de son PIB ; et selon lequel encore non seulement l’Allemagne, mais tous les pays démocratiques, dont la France, font ces calculs et limitent l’effort de solidarité de leurs régions les plus riches.

En revanche, en Espagne, la Catalogne subit une perte de ressources budgétaires du double de la norme allemande : 16 milliards d’euros, qu’elle pourrait récupérer si elle était indépendante ou si elle faisait l’objet du même traitement que celui prétendument réservé par l’Allemagne à ses Länder.

Ressassée à l’infini, cette histoire a contribué à créer le sentiment d’injustice éprouvé par une partie importante de la société catalane, exprimé par le cri « L’Espagne nous vole ! » et par le chiffre mythique de 16 milliards que rapporterait l’indépendance chaque année.

Tout est faux

Le problème est que tout cela est faux. L’Allemagne n’a jamais calculé ces soldes budgétaires si souvent invoqués, ils n’existent pas. Il n’y a pas de règle limitant la solidarité interrégionale dans la législation allemande. La réalité est que l’Allemagne est l’un des pays d’Europe où la solidarité territoriale est la plus forte. On peut se demander comment dans un pays démocratique jouissant d’une presse libre, d’universités, d’une riche vie intellectuelle, cette histoire fausse et sans fondement et qui a suscité tant de griefs a pu se propager.

Il est tout aussi faux d’affirmer que la Catalogne disposerait immédiatement et en permanence de 16 milliards supplémentaires qui lui auraient permis d’éviter les politiques d’austérité, qu’elle compterait l’excédent le plus élevé d’Europe, qu’elle serait en mesure de rembourser l’intégralité de sa dette publique en quatre ans et d’augmenter les retraites de 10 %, ainsi que le proclament les indépendantistes.

Rien de tout cela n’est vrai, car ces 16 milliards proviennent de l’application d’une méthode très particulière et ne correspondent absolument pas au bénéfice net qu’apporterait l’indépendance. Entre autres parce qu’il n’est pas tenu compte du coût des structures de l’Etat que la Catalogne aurait à créer.

Le coût de la défense, par exemple, est évalué à 422 millions seulement – tel est le coût des installations militaires sur le territoire catalan –, alors que si la Catalogne devenait membre de l’OTAN, selon le souhait exprimé par M. Mas, la dépense à engager pour la défense serait de l’ordre de 3 milliards (1,5 % du PIB).

Évidence ignorée

Faire croire que l’indépendance rapporterait immédiatement 16 milliards est une fraude intellectuelle, mais c’est un succès de communication politique. Les contestataires ont été peu nombreux, et leur voix a été étouffée par le puissant haut-parleur de la propagande officielle.

Voilà comment s’est construite l’histoire selon laquelle l’indépendance est possible, facile et pertinente. Ils en ont besoin pour faire adhérer à leur cause ceux qui n’en veulent pas pour des raisons identitaires. Si vous n’êtes pas pour l’indépendance par l’émotion, soyez-le par la raison. Elle vous convient, vous vivrez beaucoup mieux.

Nous resterons automatiquement au sein de l’Union européenne et dans l’euro parce que, quoi qu’en disent les traités, personne n’osera nous mettre en dehors de l’Europe, et les relations commerciales avec notre principal client, qui est l’Espagne, ne seront pas altérées. Nous serons accueillis à bras ouverts parce que le droit à l’autodétermination des peuples opprimés comme les Catalans est internationalement reconnu, etc.

Les autorités communautaires ont déclaré qu’une Catalogne émergeant comme un Etat indépendant devrait demander l’admission et que celle-ci devrait être approuvée et ratifiée à l’unanimité. Mais, ainsi que bien d’autres, cette évidence est ignorée, au mépris de la Constitution espagnole et même du statut d’autonomie de Catalogne. Pour changer une virgule à ce texte, il faut les voix de deux tiers des députés. En revanche, les indépendantistes se proposent de déclarer unilatéralement l’indépendance à la moitié plus une, même si cela ne représente pas la moitié des voix.

Saut dans le vide

Aux problèmes bien réels de la place d’une région consciente de former une nation au sein de l’Espagne, qui est actuellement l’un des pays les plus décentralisés du monde et reconnaissant sa diversité identitaire, la mythologie indépendantiste a ajouté un bon nombre de griefs basés sur des calculs faux et des histoires montées de toutes pièces, comme la fable étonnante des soldes budgétaires allemands.

Grâce à cela, une bonne partie des Catalans semble prête à faire un saut dans le vide pour se détacher de l’Espagne de façon unilatérale, malgré les liens affectifs qui unissent les deux sociétés et en espérant que tous les facteurs importants de leur situation économique et juridique dans le monde n’en souffriront pas.

Nous espérons que la raison reprendra le dessus et qu’une majorité, silencieuse jusqu’ici, décidera que le dialogue, le consensus et les réformes constitutionnelles sont la meilleure manière de régler la place politique et économique de la Catalogne au sein de l’Espagne (Traduit de l’Espagnol par Martina Hidalgo).

Josep Borrell , Professeur d’économie, ancien président du Parlement européen et membre du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).

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