Dénonçons les calculs à courte vue du président syrien

Dans une Syrie où l’expression est muselée depuis des décennies, bien avant l’arrivée de la dynastie Assad au pouvoir en 1970, et malgré le traitement « sécuritocratique » de l’espace médiatique où les intellectuels se voient reprocher « d’affaiblir la détermination de la nation », le pouvoir évalue, à juste titre, l’impact des médias en Occident.

Il considère, avec un grain d’exagération peut-être, qu’ils jouent un rôle indispensable dans la construction de la conscience publique qui, à son tour, peut influencer les positions des gouvernements démocratiquement élus. Il se peut que cela soit l’une des rares leçons apprises par le « jeune » président durant ses mois passés en Angleterre avant d’accéder au « trône » du pays.

En évitant scrupuleusement de s’adresser aux médias syriens et en limitant ses réponses aux sollicitations des médias alliés de la Russie, de l’Iran et du Liban, Bachar Al-Assad et ses conseillers en communication ont bien choisi leur objectif : l’opinion publique occidentale très preneuse, en ce moment, d’un discours alarmiste qui met le danger du terrorisme réel ou imaginé avant toute autre problématique.

Après la lecture de ses dernières prouesses avec Paris Match, Foreign Affairs et la BBC, force est de constater que le discours a été méticuleusement choisi et structuré en fonction du public de ces médias. Il est temps, semble-t-il, de renouer le « dialogue » avec les ennemis d’hier par le biais du quatrième pouvoir. Les médias peuvent jouer ainsi le rôle de boîtes noires afin de faire passer des messages politiques et sécuritaires à qui de droit.

Nombre de journalistes cherchent à réaliser un « scoop »

Pour diverses raisons, la liste des demandes d’interviews doit être longue sur le bureau d’Assad. Le choix d’y répondre positivement est méticuleusement opéré. Nombre de journalistes cherchent à réaliser un « scoop » en interviewant un dirigeant qui est capable de nier la véracité en regardant ses interlocuteurs droit dans les yeux. Atout qu’il n’est pas le seul à posséder dans l’arène politique internationale, mais dont est sûrement l’un des rares à savoir jouer avec tant d’habilité.

Le « protecteur » des minorités, le « garant » de la stabilité et le « combattant » du fanatisme, trois messages à répéter et à faire avaler par les interlocuteurs occidentaux. Une maîtrise parfaite de l’art de manipuler les contre-vérités et un déni permanent des crimes commis : « Nous n’utilisons pas de barils explosifs », tout en ironisant, faisant référence aux Cocotte- Minute. S’ajoute à cela une rupture avec la réalité : « Le peuple me soutient sinon je ne serais plus président. » Aucun élément nouveau dans les réponses donnant le sentiment d’une vision, quelconque, d’un processus politique viable. Absence totale d’une reconnaissance, même farfelue, de la catastrophe humaine que vivent les Syriens et les Syriennes depuis quatre ans.

Son entourage et lui sont convaincus qu’existe une volonté occidentale, encore timide, de renouer avec lui et le réhabiliter sur la scène politique internationale émanant de ceux-là mêmes qui n’ont pas hésité auparavant à délégitimer son pouvoir. Les Occidentaux glissent de toute façon vers un rapprochement de « raison » afin de pouvoir collaborer, éventuellement, avec le pouvoir de Damas face au terrorisme. Tendance qui témoigne d’une terrible ignorance de la réalité sur le terrain.

Toute discussion rationnelle vouée à l’échec

Paradoxalement, ce recours aux médias occidentaux peut traduire ainsi une certaine inquiétude face à une lassitude russe et, à un moindre degré, iranienne. Bachar Al-Assad cherche à montrer qu’il a regagné une position de force suffisante pour reprendre la parole et tenter de convaincre les Occidentaux qu’ils doivent reprendre la coopération avec lui et cesser d’appeler à son départ.

L’exercice était ravageur avec des journalistes exigeants comme ceux du Foreign Affairs et de la BBC. En choisissant de ne pas servir de marchepied, ils ont mis en lumière une logique circulaire dans ses réponses vouant toute discussion rationnelle à l’échec. Ils n’ont pas hésité à le relancer et même le contredire. En revanche, avec des journalistes peu scrupuleux et à la recherche de l’exploit médiocre, ce discours fonctionne et porte ses fruits, comme ce fut le cas récemment avec deux publications françaises.

Ces interviews et les commentaires des journalistes qui les ont menées devraient, au bout du compte, aboutir au résultat inverse de celui escompté par Assad : montrer qu’aujourd’hui autant qu’hier, il ne saurait être un partenaire pour l’Occident ni dans la lutte contre le terrorisme ni dans la recherche d’une solution politique à la crise syrienne.

Cependant, ce constat n’est pas de l’avis de certains élus français pour diverses raisons. Ils ont même été amenés à jouer le rôle de certains journalistes français complaisants. En se rendant à Damas pour « voir et écouter de la source » comme ils prétendent « naïvement » et explicitement, ils ont donné la fausse impression qu’ils ont été mandatés par les autorités diplomatiques du Quai d’Orsay, sinon par leurs électeurs qu’ils sont censés représenter quand ils siègent dans leurs assemblées même en somnolant.

Tourisme

Les « ni Assad ni Daech », prônés par la diplomatie française, semblent déranger nos élus. Ils préconisent, après quatre ans et des milliers de victimes, de renouer avec un régime, dont l’ensemble de l’œuvre n’a été que propice au développement de plusieurs groupes terroristes dans la région depuis les années 1970.

Il n’est probablement pas juste de voir cette démarche uniquement à partir du triangle naïveté-légèreté-simplicité. Cependant, il faut s’attarder devant leurs déclarations « explicatives » pour essayer de déceler la profondeur de leurs réflexions politiques. Durant les années 2000, quand les relations diplomatiques étaient relativement bonnes, des parlementaires français visitaient la Syrie pour faire du tourisme et se régaler de tous les plaisirs qu’offrent ses villes ainsi que sa bourgeoisie « parasite » très proche du pouvoir. Fait marquant à cette époque : refus catégorique de dialoguer avec des représentants de l’opposition afin de ne pas froisser les autorités.

Si cette visite était liée au moins à un cessez-le-feu partiel ou limité, ou à une libération de certains des milliers de prisonniers politiques, ou encore au passage de convois humanitaires pour nourrir des milliers de personnes encerclées dans les villes syriennes comme dans les camps palestiniens en Syrie, cette visite aurait pu être considérée comme positive d’un point de vue strictement humain. Rien de tout cela. Au moment de l’entretien avec Bachar Al-Assad, les exactions ont perduré. Durant la conversation, très médiatisée au profit du régime, les barils n’ont cessé de prendre la vie des Syriens à deux pas du lieu de cette rencontre « historique ».

Durant une visite de représentants de la société civile syrienne à Paris auprès d’un des membres de cette « délégation » en 2012, la seule phrase marquante de cet élu pour commenter la tuerie en Syrie était la suivante : « Dommage, nous ne pouvons plus faire de tourisme en Syrie. » Il semble que la patience ait porté ses fruits, et le revoilà faisant du « tourisme » pour visiter les ruines des villes bombardées par les barils de dynamites et les missiles balistiques.

Salam Kawakibi, politologue et directeur adjoint de Arab Reform Initiative.

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