Depuis 1860, 37 des 40 “midterms” se sont soldées par une défaite du président américain

Si on en croit le grand révolutionnaire et scientifique américain Benjamin Franklin, « en ce monde, rien n’est certain, à part la mort et les impôts ». A ce duo, on pourrait presque ajouter la défaite du président américain lors des élections de mi-mandat : depuis 1860 et la mise en place du duopole partisan entre démocrates et républicains, 37 des 40 midterms se sont soldées par un recul du parti du président à la Chambre des représentants, le seul organe du pouvoir à être intégralement renouvelé lors de ces scrutins.

Les deux dynamiques menant à cette implacable mécanique électorale ont depuis longtemps été mises en lumière par les analystes américains. La première concerne les électeurs, globalement peu intéressés par la politique mais qui se rendent aux urnes lors de l’élection présidentielle du fait de l’importance de l’enjeu.

Ayant peu d’attaches idéologiques ou psychologiques pour un parti, ils ont tendance à voter pour le candidat qui est favorisé par le contexte dans lequel se déroule l’élection (enjeux de la campagne, situation économique ou internationale, qualités personnelles des candidats, etc.), et votent dans la foulée pour les candidats de son parti au Congrès. Deux ans plus tard, ces électeurs tendent à s’abstenir lors des midterms, conduisant à une perte sèche de voix pour les candidats du parti du président à la Chambre et au Sénat.

La seconde dynamique touche les électeurs indépendants et modérés qui hésitent entre les démocrates et les républicains. Cet électorat vote sur le bilan du président, faisant des midterms un référendum sur son action. Mais les politologues ont aussi montré que, lors d’un scrutin traditionnellement peu mobilisateur (entre 37 % et 42 % de participation depuis 2002), ce sont surtout les électeurs mécontents qui se rendent aux urnes, les satisfaits étant par nature plus apathiques.

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Ces explications permettent de saisir l’aspect presque systématique de la défaite du président lors des élections de mi-mandat, même quand il bénéficie d’une cote de popularité très élevée : sans cela, comment comprendre les déboires des républicains en 1958 – 57 % de popularité pour Dwight Eisenhower –, des démocrates en 1962 – 61 % pour John Fitzgerald Kennedy – ou des républicains en 1986 – 63 % pour Ronald Reagan, qui ne souffrait pas encore des révélations de l’affaire Iran-Contra ?

L’économie ne fait pas tout

Ainsi, l’histoire nous montre que même un contexte relativement favorable ne devrait pas permettre à Donald Trump de sauver la mise. Certes, la croissance est au rendez-vous avec 4,1 % de progression au deuxième trimestre, et le chômage n’a jamais été aussi bas, touchant 3,7 % des Américains en septembre 2018, un record depuis… 1969 ! Les Américains sont d’ailleurs parfaitement conscients de ce contexte positif puisque 65 % d’entre eux estimaient que la situation économique du pays était bonne en septembre, selon un sondage Ipsos, contre 45 % en novembre 2016, au moment de l’élection de Donald Trump, et 11 % en novembre 2008, dans la foulée de la première élection de Barack Obama.

Néanmoins, l’économie ne fait pas tout, et les principales préoccupations des Américains sont d’ordre social (le système de santé, 38 %), sécuritaire (la criminalité et la violence, 31 %), identitaire (l’immigration, 29 %) et éthique (la corruption, 28 %), autant de sujets que le président mobilise plus ou moins régulièrement mais sur lesquels il est loin de faire l’unanimité dans l’électorat. Plus largement, seuls 41 % de la population estiment que le pays va dans la bonne direction, un des plus bas niveaux mesurés depuis novembre 2016.

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Dans ce contexte, la popularité du président, historiquement faible lors de son entrée en fonctions en janvier 2017 (43 %), est restée remarquablement stable depuis lors. Située à 41 % aujourd’hui, elle est proche de celle de Barack Obama à la veille des désastres électoraux des midterms de 2010 (64 sièges en moins à la Chambre, 6 sièges en moins au Sénat) et 2014 (13 sièges en moins à la Chambre, 9 en moins au Sénat), mais aussi de Bill Clinton en 1994 (54 sièges en moins à la Chambre, 9 en moins au Sénat), Ronald Reagan en 1982 (26 sièges en moins à la Chambre, 1 en moins au Sénat) ou encore Lyndon Johnson en 1966 (47 sièges en moins à la Chambre, 3 en moins au Sénat).

Les démocrates favoris à la Chambre

Cette comparaison avec les précédents présidents est donc peu encourageante pour l’actuel locataire de la Maison Blanche. De fait, les sondages annoncent tous une nette victoire démocrate à la Chambre des représentants, dont l’intégralité des sièges est renouvelée tous les deux ans. En 2016, bénéficiant d’un découpage électoral très favorable au point d’avoir été cassé en justice dans plusieurs Etats, les républicains avaient raflé une large majorité en sièges (241 sur 435) avec seulement 49,1 % des voix, contre 48 % aux démocrates.

Cette année, les enquêtes d’opinion donnent aux démocrates une nette avance, qui devrait leur permettre de surmonter le handicap du découpage des circonscriptions : ils ont 7 points d’avance dans le dernier sondage quotidien Ipsos, soit une avance comparable à celle des républicains lors du raz-de-marée de 2010, qui leur avait permis de conquérir 63 sièges et la majorité à la Chambre. De plus, les sondages locaux confirment que les candidats démocrates seraient susceptibles de faire basculer non seulement la plupart des circonscriptions traditionnellement incertaines, mais aussi plusieurs circonscriptions que Donald Trump et les représentants républicains avaient remportées avec une large avance en 2016.

La situation est en revanche tout autre au Sénat, dont seul un tiers des 100 élus est renouvelé à chaque cycle électoral. Les démocrates, qui y détiennent actuellement 49 sièges sur 100, doivent en conquérir deux (le vice-président peut voter en cas d’égalité) pour faire basculer la Chambre haute. Un scénario qui semble toutefois peu probable. En effet, 27 des sénateurs soumis à réélection sont démocrates, contre seulement 10 qui sont républicains.

De plus, de très nombreux sénateurs démocrates sortants sont issus d’Etats traditionnellement républicains : Joe Manchin en Virginie-Occidentale, Etat remporté par Donald Trump en 2016 avec 69 % des suffrages ; Heidi Heitkamp dans le Dakota du Nord, où Donald Trump avait obtenu 63 % des voix en 2016 ; Joe Donnelly dans l’Indiana et Claire McCaskill dans le Missouri, deux Etats dans lesquels le président avait recueilli 57 % des voix en 2016, etc.

La carte électorale est donc cette année particulièrement défavorable aux démocrates, qui ont de nombreux sièges à défendre dans des Etats peu favorables, et au contraire peu d’opportunités évidentes d’en conquérir : l’Arizona et le Tennessee, où les sortants républicains se retirent, restent des Etats conservateurs, et l’enthousiasme généré par le jeune espoir démocrate Beto O’Rourke au Texas ne semble à ce stade pas suffisant pour lui permettre de déloger le sortant Ted Cruz.

Le Sénat, vrai enjeu des républicains

Les résultats des midterms risquent donc fort d’être contradictoires si la tendance des sondages est confirmée : une nette victoire démocrate à la Chambre des représentants, qui devrait aboutir à une bascule pour la première fois depuis 2010 ; et, au contraire, une grande stabilité au Sénat grâce à une carte électorale très favorable aux républicains. De tels résultats pourraient alors aboutir à des analyses très différentes dans les médias, et il faudra pour les commentateurs garder l’équilibre entre deux lectures opposées des résultats du scrutin.

D’un côté, une lecture purement électorale basée sur les résultats à la Chambre des représentants – la seule élection véritablement nationale –, qui sera vraisemblablement très favorable aux démocrates. Les résultats au Sénat seront en effet moins utiles pour comprendre l’état d’esprit des Américains étant donné la spécificité des sièges à renouveler cette année. D’un point de vue purement électoral, une relative stabilité au Sénat serait d’ailleurs positive pour les démocrates étant donné le nombre de sortants qu’ils devront défendre dans des Etats parfois très conservateurs.

Mais une autre lecture du scrutin sera possible, plus politique et institutionnelle cette fois. Certes, une bascule de la Chambre dans le camp démocrate serait une très mauvaise nouvelle pour Donald Trump : il suffit pour s’en rendre compte de se souvenir du blocage législatif complet entre 2010 et 2014, quand Barack Obama pouvait s’appuyer sur un Sénat démocrate mais faisait face à une Chambre républicaine. Néanmoins, un maintien de la domination des républicains sur le Sénat leur permettrait au moins d’avoir la haute main sur la politique étrangère, et surtout de nommer des juges conservateurs à la Cour suprême en cas de vacance, mais aussi aux cours inférieures (cours de district, cours d’appel).

Alors que la capacité des pouvoirs exécutif et législatif à mettre en œuvre leur agenda est fortement réduite par la polarisation politique très forte depuis plus de vingt ans, de nombreuses avancées sont désormais le fruit de décisions du pouvoir judiciaire. On mesure donc combien un maintien du Sénat dans le camp républicain pourrait s’avérer important d’un point de vue politique, même s’il serait peu significatif électoralement.

Par Mathieu Gallard, Directeur d’études au sein du département Public Affairs d’Ipsos France.

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