Depuis 1979, la lutte contre l’inflation constitue le cadre idéologique dominant des politiques monétaires

Aux Etats-Unis, la hausse des prix franchit le cap des 10 % au printemps 1979, juste avant l’élection présidentielle de 1980. Les syndicats obtiennent des ajustements de salaire de 7,4 %. Les mécanismes de contrôle des prix et des salaires mis en œuvre, fin 1978, par le président démocrate Jimmy Carter se révèlent impuissants pour lutter contre l’inflation. Le président américain décide alors de nommer Paul Volcker à la tête de la Réserve fédérale des Etats-Unis. Ancien président de la Réserve de New York et ex-sous-secrétaire du Trésor de Richard Nixon, ce dernier bénéficie d’une solide réputation de rigueur. Deux mois après son entrée en fonctions, il modifie l’approche monétaire de la Fed et débute les hostilités contre l’inflation, ce qui fait grimper les taux d’intérêt au-delà des 15 %.

La manœuvre demeure insuffisante : les marchés financiers doutent autant de la méthode que de la détermination des autorités à conduire une politique de rigueur en pleine année électorale. La hausse des prix se poursuit, tandis que les Etats-Unis entrent dans leur plus grave récession depuis la Grande Dépression. Ronald Reagan choisit, en 1983, de confier un second mandat à Paul Volcker à la tête de la Fed. Alors que le taux de chômage atteint 10,8 % à la fin de l’année 1982, il resserre son étreinte. En janvier 1981, les taux d’intérêt dépassent les 20 %. Cette détermination sans faille finit alors par payer. De près de 15 %, l’inflation s’effondre à un niveau inférieur à 3 % dès le milieu de l’année 1983. L’inflation était bien « un phénomène monétaire ».

Un exemple pour l’Occident

Biographe de Ronald Reagan, l’historien américain H. W. Brands résume la pensée à l’origine du « choc Volcker » : « La seule solution était la thérapie de choc : une politique monétaire restrictive aussi longtemps que nécessaire pour changer les états d’esprit, les anticipations des marchés et celles des individus. » En proposant un objectif clair et en utilisant l’ensemble des outils à sa disposition pour y parvenir, c’est-à-dire en rendant son action crédible aux yeux du public, Paul Volcker a eu le mérite de démontrer l’efficacité de la politique monétaire pour lutter contre l’inflation, et ce alors même que des doutes avaient été exprimés à cet égard par les grands noms de l’école keynésienne du prestigieux Massachusets Institute of Technology.

Un succès qui va servir d’exemple au reste du monde occidental. Le 23 mars 1983, dans une allocution télévisée, François Mitterrand annonce aux Français son choix de suivre une stratégie analogue : « Il est temps, grand temps, d’arrêter la machine infernale. Combattre l’inflation, c’est sauver la monnaie et le pouvoir d’achat. Voilà pourquoi je lutterai, et le gouvernement avec moi, de toutes nos forces contre ce mal et mobiliserai le pays à cette fin. » Le tournant de la rigueur venait de voir le jour.

Forts de cette victoire contre l’inflation, les banquiers centraux du monde occidental concentrent leurs actions sur la maîtrise des prix. C’est ainsi que la négociation relative à la monnaie unique européenne consacre la notion de « stabilité des prix », proche de la vision défendue par la Bundesbank, elle-même confortée par le « choc Volcker ».

Revue stratégique à la BCE

Quatre décennies plus tard, la lutte contre l’inflation constitue encore le cadre idéologique et structurel dominant de la conduite des politiques monétaires. La faiblesse de l’inflation constatée depuis plusieurs années – 1,2 % en moyenne au cours du mandat de Mario Draghi – ne peut être considérée ni comme une surprise ni comme une anomalie. De la même façon que les excès monétaires ont conduit à la percée inflationniste de la fin des années 1970, la poursuite d’une politique désinflationniste aboutit au résultat actuel : inflation absente, croissance faible, progression des ratios d’endettement et taux négatifs.

Cette doctrine est désormais remise en question aux Etats-Unis, depuis que la Fed a décidé de conduire, à partir de 2018, une « revue stratégique du cadre de la politique monétaire » ayant pour objectif d’orienter structurellement l’économie dans un sens plus favorable à la croissance et à l’emploi, et dont le résultat sera annoncé en 2020. L’intolérance à l’inflation cède la place à une vision plus équilibrée de la politique monétaire, ce qui a d’ores et déjà produit des résultats : un taux de chômage à 3,5 %, au plus bas depuis décembre 1969, un taux de pauvreté en baisse depuis 2014 et des salaires qui progressent à nouveau, notamment pour les emplois les moins rémunérateurs (+ de 4 % de hausse en rythme annuel). Depuis dix ans, la croissance nominale des Etats-Unis a progressé de 48 %, contre 28 % pour la zone euro.

Voici pourquoi l’arrivée de Christine Lagarde à la tête de la Banque centrale européenne pourrait être décisive. En ayant déjà annoncé sa volonté de conduire une revue stratégique de la politique de la BCE, l’ancienne directrice du FMI pourrait engager une refonte du cadre monétaire européen. En octobre 2011, Christina Romer, conseillère de Barack Obama, appelait la Fed à conduire son « moment Volcker » en adoptant une nouvelle orientation monétaire. C’est aujourd’hui au tour de Christine Lagarde de saisir l’opportunité. Quarante années après le tournant de la rigueur, le virage de la croissance est à portée de main.

Nicolas Goetzmann est responsable de la recherche et de la stratégie macroéconomique à la Financière de la Cité.

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