Des années compliquées s’annoncent pour le Royaume-Uni

La sortie officielle du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) ouvre le champ à un nouveau positionnement politique du pays, à la fois en ce qui concerne l’avenir même de l’Union et ses frontières dans l’UE et en ce qui adviendra du lien transatlantique, suite à l’élection de Donald Trump en novembre 2016.

En apposant sa signature au document permettant au Royaume de se retirer de l’UE, Theresa May savait qu’elle s’exposait à un grand nombre de difficultés à venir, dont quatre en particulier : comment maintenir l’unité du pays qu’elle souhaite défendre envers et contre tout ? Comment envisager sereinement le maintien des accords du Touquet de 2003 qui situent la frontière entre la France et le Royaume-Uni à Calais ? Comment penser l’Europe de la défense et le lien avec les Etats-Unis dans ce qui ressemble fortement à un désengagement américain de l’OTAN ? Enfin, quelle alliance nouer avec les Etats-Unis dans l’ère Trump ?

L’enjeu de l’unité du Royaume-Uni

Le vote en faveur du Brexit de juin 2016 a fait voler en éclat la question de l’unité du Royaume-Uni. Le pari de Cameron, à savoir celui du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse en septembre 2014, était censé avoir réglé cette question pour au moins une génération à venir. Avec le référendum sur le maintien ou non dans l’UE de juin 2016, Cameron espérait obtenir le même résultat et réduire au silence la frange eurosceptique de son parti.

En fixant ce nouveau référendum un an à peine après les élections législatives de mai 2015 – dont on ne soulignera jamais assez que ce type de consultation populaire reste une solution bien continentale dans un pays de nature représentative –, Cameron pensait pouvoir mettre de côté les dissensions et enfin gouverner seul, n’étant plus tenu par la coalition avec les Libéraux Démocrates comme il l’avait été de 2010 à 2015.

Or, il en fut strictement l’inverse car l’Ecosse, en votant en faveur du maintien dans l’UE, a ouvert la possibilité d’un nouveau référendum sur son indépendance. Le parlement écossais vient officiellement d’autoriser Nicola Sturgeon, la première ministre écossaise, à demander la tenue d’un nouveau référendum dans ce sens et même si Theresa May a l’intention de ne pas accepter le calendrier fixé par les indépendantistes écossais, elle ne pourra pas repousser sa tenue indéfiniment.

La question de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande

Si la possibilité d’un Royaume désuni est bien réelle, la situation n’est pas moins compliquée en Irlande du Nord. Cette région, qui a également voté en faveur du maintien dans l’UE, peine en ce moment même à mettre en place un nouveau gouvernement où le partage des pouvoirs entre les deux grands acteurs ennemis de la région – les unionistes, majoritairement protestants, et les nationalistes, majoritairement catholiques – est inscrit dans l’Accord du Vendredi Saint de 1998.

Sans accord trouvé, Londres pourrait de nouveau se retrouver à gérer directement la région alors que le gouvernement va passer beaucoup de temps à négocier sa sortie de l’UE et ne tient pas à gérer cette difficulté supplémentaire.

L’autre question qui soulève bien des difficultés et celle de la frontière entre l’Irlande du Nord, membre de l’Union, et la République d’Irlande, membre de l’UE. Comment envisager l’avenir de la frontière entre les deux pays ? Des milliers d’Irlandais de tous bords vont être affectés par ces changements, attisant davantage des querelles anciennes qui pourraient trop aisément repartir dans un contexte de tensions politiques.

Ces questions de frontière touchent aussi celle qui concerne le Royaume-Uni (RU) et la France, qui dans le cadre des accords franco-britanniques du Touquet de 2003, fixait cette frontière à Calais. Des contrôles britanniques avaient déjà lieu sur le sol français avant ces accords mais c’est bien entendu la question des migrants, bloqués dans les « jungles » autour de Calais, qui attise les peurs et les rancœurs françaises.

Comment ne pas transporter les « jungles » dans le Kent

Paradoxalement, l’immigration des ressortissants hors UE avait été l’un des sujets phare au moment du référendum sur l’UE de juin 2016 prouvant si besoin était combien la question de l’immigration dépassait la question même du référendum.

Les accords du Touquet devaient permettre de réduire l’immigration clandestine sur le sol britannique mais ils ont aussi bloqué sur le sol français des migrants qui sont prêts à tout pour se rendre outre-manche et qui obligent la France à contrôler cette immigration à la place des Britanniques.

Theresa May va devoir rapidement régler ce dossier qui est une cause de profond mécontentement pour les élus et la population autour de Calais, du tunnel sous la Manche et de Dunkerque. Certes, la première ministre britannique pourra toujours jouer la carte de la coopération en matière pénale et antiterroriste entre le RU et la France mais tout dépendra du prochain président français et de son point de vue sur cette question.

Sur tous ces points, Theresa May se trouve embarrassée car, dans le cas de l’Union et en dépit de son attachement viscéral pour un Royaume qu’elle veut « uni », elle ne pourra pas contenir les demandes séparatistes si les négociations avec l’UE se passent mal ; alors, pour ne pas transporter les « jungles » dans le Kent, et mécontenter son électorat, elle va devoir négocier un nouvel accord avec la France pour trouver une solution aux accords du Touquet qui ont peu de chance d’être maintenus en l’état.

Trump-May reformeront-ils le couple Reagan-Thatcher ?

L’un des points de levier sur lequel Theresa May pourra jouer dans les négociations à venir concerne la défense de l’Europe. La politique européenne de sécurité et de défense a peu de chance de se développer sans l’appui politique, financier et militaire du Royaume-Uni qui est la première puissance militaire de l’UE. Comme les déclarations du président Trump ont pu le laisser entendre, dépendre uniquement de l’OTAN pour assurer la protection de l’UE – ce que le Royaume-Uni a toujours soutenu – risque d’avoir un coût dans un contexte de tensions avec la Russie et sur ce point, l’UE ne pourra pas faire sans le soutien du Royaume-Uni.

C’est ainsi que le lien entre Britanniques et Américains – la célèbre « relation spéciale » qui unit les deux pays par une histoire et une langue communes – prend ici tout son sens. Theresa May a tout intérêt à se rapprocher des Etats-Unis, en particulier parce que Trump n’a pas caché son soutien au Brexit et qu’il a fait preuve de bien plus de bonne volonté à son égard qu’à celui d’Angela Merkel au moment de la visite de Theresa May en janvier.

Cependant, comment cette dernière va-t-elle trouver un moyen de s’entendre avec cet homme bien éloigné de son conservatisme modéré et dont les liens avec la Russie inquiètent le Royaume-Uni ? La première ministre a redit maintes fois qu’elle saura dire les vérités dérangeantes au président, mais face à un homme dont les actions sont difficiles à anticiper et qui a pour ambition de privilégier les intérêts américains avant tout, comment pourra-t-elle nouer une relation nourrie et sincère comme Reagan et Thatcher avaient pu le faire dans les années 1980 ?

Les deux années qui viennent sont un champ de possibilités et il va falloir à Theresa May toute la persévérance et la patience d’un coureur de fond pour venir à bout des difficultés qui semblent surgir sur le long chemin de retrait du RU de l’UE.

En juillet 2016, le conservateur Kenneth Clarke, faisant référence à ses années en tant que ministre de Thatcher, avait été pris en flagrant délit de décrire Theresa May comme une « autre femme sacrément difficile ». Dans les circonstances actuelles, il semble que seule une femme à la trempe d’acier soit capable de sortir des années compliquées qui s’annoncent pour le Royaume-Uni.

Catherine Marshall, professeur à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, membre du laboratoire AGORA.

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