Des premières dames d’Afrique contre l’excision

Dans le monde entier, des femmes vivent sous la menace des mutilations génitales féminines ou en subissent les conséquences. Rien qu’en Afrique, environ 3 millions de filles et de femmes sont soumises à cette pratique chaque année et l’on estime à quelque 92 millions les femmes à en avoir été victimes.

La justification de cette amputation varie entre les pays. Dans certaines parties du continent, les textes religieux sont invoqués de manière erronée. Dans d’autres, ce sont des traditions culturelles qui contribuent à maintenir la pratique vivante. Mais quel que soit le raisonnement avancé, les mutilations génitales féminines (MGF) constituent une violation flagrante des droits humains les plus fondamentaux et doivent être éradiquées. De nombreux Etats où les MGF sont pratiquées sont signataires du protocole de l’Union africaine sur les droits de la femme, dont l’article 5 appelle explicitement à l’adoption de lois interdisant les excisions. Des signes positifs d’un abandon de la pratique sont visibles dans plusieurs pays. Cependant, l’échec de nombreux Etats de l’Union africaine à ratifier ce protocole et le manque de législations nationales efficaces font obstacle à un effort plus concerté pour débarrasser le continent de ce fléau.

C’est pourquoi le gouvernement du Burkina Faso et l’association internationale No Peace Without Justice ont organisé une réunion à Ouagadougou en novembre pour discuter des mesures qui doivent être prises en vue d’une interdiction globale des MGF.

La réunion, parrainée par le gouvernement italien, a réuni des législateurs, des ONG, des ministres et des leaders communautaires ainsi que des femmes de toute la région. Ces différents acteurs se sont consacrés, parfois au péril de leur vie, à faire en sorte que les générations futures ne soient pas soumises à cette pratique.

La réunion a également été l’occasion de lancer un appel aux autres premières dames d’Afrique à s’engager en faveur de l’abolition des MGF par un effort de sensibilisation et de législation au niveau du continent. Il s’agit de sensibiliser leurs communautés - en particulier les femmes - sur leurs droits, en s’appuyant sur les instruments internationaux, et de promouvoir la législation qui consacre ces droits au niveau national.

Mme Moubarak d’Egypte et Mme Museveni de l’Ouganda comptent parmi celles qui ont déjà exprimé publiquement - et vigoureusement - leur opposition aux MGF. Il importe à présent de développer et de coordonner les actions de cette alliance de femmes qui partagent la même volonté. Une coalition de premières dames d’Afrique engagées pour l’élimination des excisions ne donnerait pas seulement à cette question la visibilité qu’elle mérite, mais fournirait aussi le dynamisme nécessaire pour interdire la pratique une fois pour toutes.

Le Burkina Faso figure parmi les quelques nations d’Afrique qui ont promulgué une législation efficace interdisant cette pratique. Les poursuites judiciaires à l’encontre des exciseuses, combinées à une campagne d’éducation à l’échelle nationale, ont contribué à changer les attitudes des communautés. Elles ont aussi conduit à une baisse de l’incidence des MGF et ont - surtout - fourni un exemple encourageant pour les campagnes semblables qui ont surgi dans les pays voisins.

La réunion de Ouagadougou intervient à un moment crucial pour le mouvement en plein essor - en Afrique et partout dans le monde - vers une interdiction mondiale de ces mutilations. Cet été au Mali, des milliers de femmes ont manifesté dans tout le pays afin d’exiger que leur Parlement adopte une loi contre les MGF. Malgré les vives résistances des forces conservatrices qui plaident pour le maintien de cette pratique, des communautés dans toute l’Afrique commencent à remettre en question sa légitimité.

L’expérience du Burkina Faso nous enseigne que les femmes ont le pouvoir de résister à cette pratique. Ceci est possible seulement quand la population dans son ensemble, dans les zones rurales et urbaines, prend conscience des conséquences sanitaires des MGF et des droits juridiques des femmes, tels que reconnus et protégés par la Constitution et par les législations nationales.

L’impératif moral pour bannir cette violation particulièrement grave des droits humains existe indéniablement et le protocole international lui donnant force juridique est entré en vigueur. Dorénavant, il faut insister sur l’engagement et la volonté politiques essentiels pour mettre un terme définitif à cette pratique brutale. Il est temps aujourd’hui d’arrêter de tolérer l’intolérable.

Chantal Compaoré, première dame du Burkina Faso, et Emma Bonino, vice-présidente du Sénat italien et fondatrice de No Peace Without Justice