Deux scandales accentuent l’idée d’une UE antidémocratique

Les parachutes dorés quittent la scène économique helvétique. Mais ils sont très présents dans l’arène politique européenne. Un député européen qui ne serait pas réélu aux prochaines élections recevrait au moins 58 000 francs et au plus 232 000 francs, soit un mois de salaire par année de service et au plus 24 mois, révèle l’Observer. Personne n’a demandé l’approbation des citoyens. L’offre n’est pas dérisoire, d’autant que l’allocation s’ajoute aux 6200 euros de salaire net, après impôts et cotisations, et aux 4299 euros de frais généraux.

Une autre affaire fait scandale: des parlementaires européens, de droite comme de gauche, pro et anti-UE, participent non seulement à une caisse de pension de base mais aussi à une seconde, étrangement structurée et créée en 1993. Pour chaque euro de cotisation à la deuxième caisse de pension, le contribuable de l’UE paie 2 euros. Et son déficit, par ailleurs croissant, est également couvert par la communauté. La caisse de pension, qui compte 1113 membres, est largement subventionnée par le contribuable, sans bien sûr que celui-ci ait voix au chapitre. Une pierre de plus dans le jardin des déficits démocratiques. Au-dessus de l’Etat nation, un espace vide de légitimité se crée forcément, observe Francis Fukuyama. ­The Telegraph a révélé la semaine dernière que cette caisse de pension garantissait une rente de 40 000 francs à 63 ans pour un parlementaire européen britannique en place depuis dix ans. Le montant complète les 20 370 francs de la caisse de pension de base. Les deux rentes peuvent s’ajouter à celle de 12 300 francs de député britannique. Ainsi, un parlementaire élu en 1999 et partant à 63 ans en 2014 recevra 85 630 francs par an. L’équivalent de huit fois la rente moyenne britannique. Certains parlementaires ont refusé leur participation en raison de son fonctionnement. Le fonds a été fermé à de nouveaux entrants en 2009, mais il continue d’assumer ses engagements et son déficit «actuariel» s’est accru de 72 millions d’euros en 2012, pour atteindre 227,7 millions d’euros. Cette caisse de pension est «l’une des plus bizarres et répréhensibles créations de l’UE», accuse le directeur d’Open Europe, un laboratoire d’idées.

Ces affaires surgissent au moment où Transparency International publie un rapport relativement sombre sur l’intégrité des institutions européennes, l’abondance de conflits d’intérêts et de décisions prises loin de tout contrôle démocratique.

A Bruxelles, un parlementaire n’oublie pas ses propres intérêts. L’ex-président tchèque Vaclav Klaus, invité à Zurich par l’Institut Libéral et auteur d’un ouvrage sur l’UE1, s’est dit étonné de la double personnalité des élus européens, critiques à l’égard de l’UE quand ils sont dans leur pays mais artisans de la centralisation et de l’intégration une fois à Bruxelles. Surtout les Britanniques et les Polonais, a-t-il précisé.

Les prochaines élections européennes n’y changeront rien. Le citoyen n’est pas aussi naïf qu’on voudrait le croire. Face aux échecs de l’UE, il choisit l’abstention ou le vote sanction. Selon un sondage d’Open Europe publié ce lundi, les partis protestataires et anti-UE recueilleraient 31% des voix, contre 25% en 2009.

Impossible d’imaginer une remise en cause des institutions. La défense des structures actuelles de l’UE est au cœur du «politiquement correct». Quiconque émet une réserve est sanctionné. Thilo Sarrazin y perçoit une «terreur de la vertu» 2 exprimée à travers 14 postulats. La disparition de l’Etat nation est l’un d’entre eux. Elle vise à gommer les différences culturelles, ethniques, nationales ou religieuses dans un vaste projet d’uniformisation.

La déception des citoyens européens traduit en partie l’éloignement du pouvoir de décision – 85% des lois allemandes sont définies à Bruxelles – et l’abondance de règlements plus absurdes les uns que les autres. Un changement de cap est improbable. «Comme à l’époque du communisme, aucune mesure ne changera l’UE, il faut changer de système», propose Vaclav Klaus.

Le mal est peut-être encore plus profond. Kenneth Minogue porte sa critique sur la démocratie elle-même3. Dans les sociétés européennes traditionnelles, chacun devait tenir son rang et accomplir son devoir. La société était centrée sur la production et l’individu occupait une place en vertu de lois dites naturelles. L’ascension sociale était le fruit du courage et de l’entreprise. Aujourd’hui, elle est le résultat des décisions bureaucratiques cherchant à déplacer les gens en fonction de quotas. Avec la démocratie, et ses politiques anti-discriminatoires, les citoyens ont gagné des droits. Mais ils les interprètent comme des services qui leur sont dus, sans être associés à aucune obligation. La démocratie s’est muée en société de consommation dont le but est simplement de satisfaire nos besoins et nos droits dans un monde qui a aboli les différences, argumente l’ex-président de la Société du Mont-Pèlerin. Pire encore, «les gouvernements ne veulent plus satisfaire la volonté de l’individu, mais satisfaire ce que l’individu devrait désirer», avance Minogue. Rien n’est pourtant plus destructeur que les rêves de perfection des politiques. Pour y parvenir, ils multiplient les lois, directives et codes. L’insatisfaction à l’égard du gouvernement grandit avec l’imposition d’un code de conduite détaillé et l’incapacité de l’Etat à satisfaire nos besoins exprimés démocratiquement. Les règles sont aussi rigides qu’au Moyen Age, à la seule différence que la hiérarchie naturelle a été remplacée par l’égalité. Le dynamisme, la créativité et l’emploi sont les grands perdants de ce jeu-là.

La situation est donc paradoxale. Plus de 40% de la richesse nationale est redistribuée par l’Etat et le tiers de la population reçoit des transferts et allocations. Mais personne ne remercie le gouvernement. Au contraire, le fossé s’élargit avec la classe politique. Est-ce dû au déclin du christianisme, qui accorde un rôle clé au remerciement? Au transfert de tâches aux organisations internationales?

Le système de redistribution a engendré une démocratie qui veut nous faire croire que la société peut être manipulée à souhait pour produire le résultat escompté, critique Minogue. Le résultat est terrible. Les systèmes de redistribution sont en faillite. Les Etats européens sont mis sous l’éteignoir par l’UE. Et les individus qui cherchent à entreprendre sont étouffés par les contrôles et contraintes. L’Europe a besoin de liberté, résume Vaclav Klaus.

Emmanuel Garessus est journaliste.


1. «Europa braucht Freiheit», Vaclav Klaus, LIT, 2012.

2. «Der neue Tugendterror», Thilo Sarrazin, DVA, 2014.

3. «The Servile Mind», Kenneth Minogue, Encounter Books, 2012.

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