Directive sur les droits d’auteur : « Le “droit voisin” est une hydre à multiples têtes »

Avec le vote au Parlement européen le 12 septembre du projet de directive sur les droits d’auteur, l’intense lobbying des industries culturelles revoit le jour. S’inquiétant pour la démocratie, plusieurs médias et journalistes appellent à créer un droit voisin au profit des éditeurs de presse. Et si cela provoquait l’effet inverse ?

Selon ces industries, la démocratie serait en danger. Ainsi, à l’appel de l’AFP, plusieurs journalistes ont demandé aux parlementaires européens d’adopter une proposition de directive relative aux droits d’auteur qui prévoit, entre autres choses, de créer un droit voisin au profit des éditeurs de presse. Ce droit voisin viendrait taxer les divers agrégateurs, moteurs de recherche ou réseaux sociaux, du fait de la seule indexation des contenus publiés par les sites de presse en ligne – et cela malgré l’impact positif que ces intermédiaires ont sur le trafic drainé vers lesdits sites.

A y regarder de plus près, plusieurs questions peuvent légitimement se poser. Tout d’abord au niveau de la méthode. Avant d’être relayée par tous les grands quotidiens nationaux, la tribune signée par plusieurs journalistes fait suite à des discussions entre ces journalistes et la direction de l’AFP, comme l’indiquait la députée européenne Julia Reda [unique députée du Parti pirate, hostile à la proposition de la directive].

Lobbying

Comme toute entreprise, l’AFP demeure libre de faire un lobbying en faveur d’une disposition qui pourrait lui être favorable, de la même manière que certains quotidiens nationaux. A l’heure de la lutte contre la désinformation, cela interroge néanmoins sur la transparence de ces actions. Afin de garantir une démocratie, ces médias ne devraient-ils pas rappeler, lors du traitement journalistique de la question, qu’ils font activement un lobbying en faveur de telle ou telle disposition ?

Au-delà de la méthode, le droit voisin se veut un mécanisme complémentaire du droit d’auteur existant qui permettrait aux éditeurs de presse de recevoir des revenus complémentaires. Il s’agit d’un élément important : le droit voisin n’a pas vocation à bénéficier aux journalistes qui sont titulaires d’un droit d’auteur. Au contraire, ce droit voisin aura pour effet d’altérer le droit d’auteur du journaliste en le diluant dans un nouvel ensemble composite.

Lors des discussions sur une mesure similaire en Allemagne, voici quelques années, les éditeurs de presse allemands avaient ainsi promis de partager le droit voisin collecté avec les journalistes. Après l’adoption de la mesure, les avocats de ces éditeurs ont publié un article académique expliquant que les sommes qui devaient revenir aux journalistes s’avéraient… nulles.

La confusion règne, la loi est dure, mais c’est la loi. Quand vous encouragez votre voisin à acheter un ticket de loto, il n’a pas l’obligation de partager les gains avec vous. A ce jour, les sommes collectées vont aux éditeurs de presse – et en aucun cas aux journalistes. Il en sera de même avec le droit voisin.

Mariage diabolique

En outre, ce modèle devrait changer profondément la structuration du marché de la presse. D’une part, ce droit voisin ne va bénéficier qu’aux éditeurs de presse ayant une présence en ligne. Exit les autres médias qui ont fait le choix de ne pas avoir de présence en ligne. D’autre part, ce droit voisin va bénéficier sans discrimination à tous les médias, y compris ceux régulièrement pointés du doigt comme étant à l’origine de la diffusion de fausses informations ou d’être des faux-nez de certains gouvernements pour influer sur le cours d’élections. Le droit voisin sera alors un outil soutenant financièrement la diffusion de fausses nouvelles. Un bienfait pour la démocratie ? Pas si sûr.

Enfin, le droit voisin va permettre au gouvernement d’accélérer son désengagement dans le soutien à la presse. A terme, cela va créer un modèle où les titres de presse deviendront dépendants des géants du numérique. Aujourd’hui Google et Facebook. Demain, sans doute, Amazon, Baidu, Yandex, etc. Et le devenir de cette presse sera alors étroitement lié au destin de ces acteurs : plus ils gagnent, plus ils reçoivent de droits. Quel sera alors l’intérêt de la presse ? Maximiser les profits des acteurs du numérique !

Il ne faut pas se voiler la face. Le droit voisin est une hydre à multiples têtes. Derrière le tableau magnifique dressé par quelques médias d’une santé financière restaurée, ce droit ne profitera qu’à une minorité d’acteurs, laissera sur le bas-côté les journalistes et pourrait créer un mariage diabolique entre deux secteurs.

Si certains médias sont favorables au droit voisin, d’autres et pour les mêmes raisons démocratiques ne le sont pas. Ils ne veulent pas dépendre économiquement de Google. Ils ne veulent pas recevoir des sommes de moteurs financés par des gouvernements russe ou chinois. Ils veulent garder leur autonomie.

Si un droit voisin doit voir le jour, il doit se faire sur la base d’un choix. Le choix pour le média d’opter pour ce modèle de dépendance avec les acteurs du numérique. Le choix pour un média de choisir son avenir. Car le choix, c’est aussi la démocratie.

Par Giuseppe de Martino, président de l’Association des services Internet communautaires (ASIC) et du média en ligne Loopsider.

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