Dis-moi ce que tu peux dépolluer, je te dirai ce que je vais fabriquer

La Commission européenne a annoncé le 27 février sa décision de poursuivre la France devant la Cour de justice de l'Union européenne pour ne pas avoir pris les mesures auxquelles elle s'était engagée pour lutter contre la pollution des eaux par les nitrates d'origine agricole.

Il y a six mois, un laboratoire de Bordeaux mettait en évidence la présence de perchlorate d'ammonium dans l'eau du robinet. Cet oxydant (qui est un résidu industriel), ne figurait pas jusqu'alors parmi les indicateurs de la qualité de l'eau, alors même que des problèmes de thyroïde peuvent survenir si les taux de concentration de ce micropolluant sont importants.

Le 6e forum mondial de l'eau qui se tient à Marseille traite abondamment de l'accès à l'eau potable. Mais l'accès à l'eau potable ne se réduit pas à des questions de pompes, stations de captage, ou réseaux de distribution. La pollution des sols a un impact direct sur la qualité de l'eau, et par conséquent sur notre santé.

En particulier, des maladies endocriniennes comme la puberté précoce chez des jeunes filles ou des phénomènes de stérilité de plus en plus répandus pourraient être liées en partie à l'eau que nous buvons.

Les pesticides, mais aussi des hormones de synthèse rejetées par les humains, comme des traces de pilule contraceptive, des additifs plastiques, comme le fameux bisphénol A, désormais interdit en France, ou le perchlorate d'ammonium, apparaissent dans les rivières d'Europe. Des poissons mutent, et représentent des sources possibles de contamination pour l'homme.

Certains pays ont pris cette situation très au sérieux, comme le Canada, qui a testé en grandeur nature l'impact de la pollution sur le poisson en Ontario. Plusieurs lacs y ont été pollués volontairement de manière à mesurer l'effet des rejets polluants. Ces travaux ont mis en évidence que la pollution du milieu pouvait même conduire quasiment à l'extinction de plusieurs espèces.

Pour lutter contre de nouvelles maladies liées à la dégradation des sources d'eau, une nouvelle étape dans le traitement des rejets industriels et agricoles doit être franchie. Guérir nos sols et nos rivières en amont peut sembler coûteux, mais ces coûts privés sont marginaux pour éviter les coûts collectifs nécessaires pour guérir les humains.

Evidemment la solution n'est pas de supprimer la pilule pour éviter les rejets d'hormones dans les rivières ni d'arrêter de fabriquer des airbags pour éviter le perchlorate d'ammonium dans le sol. La révolution nouvelle consiste à programmer dans notre outil de production la future dépollution générée par notre industrie et notre agriculture.

Au siècle dernier, les activités de dépollution étaient relativement simples. La logique curative suffisait. Aujourd'hui, la croissance des villes, la complexité chimique des produits rejetés, la concentration de ces rejets sur des sols qui, eux, ne sont pas extensibles rendent les métiers de la dépollution plus  sophistiqués et plus intenses en technologies.  Les déchets que nous produisons lorsqu'ils ne sont pas recyclés, peuvent se diffuser dans l'air que nous respirons ou dans l'eau que nous buvons. Dans les poumons ou dans l'estomac, au bout du compte.

Pour traiter les nouveaux micropolluants, il faut dépasser la logique traditionnelle du pollueur-payeur. La seule solution est d'adapter les activités génératrices de rejets toxiques aux capacités technologiques des activités de dépollution. Dis-moi ce que tu peux dépolluer je te dirai ce que je vais fabriquer.

L'éco-conception est encore trop limitée à la question de l'empreinte carbone, voire de l'empreinte eau des produits. Il faudrait attacher autant d'importance au devenir des produits : réemploi, recyclage pour tout ou partie ou élimination sans nuisance pour la nature.

Les laboratoires d'analyse qui identifient les substances les plus toxiques doivent ainsi travailler en amont avec l'industrie, l'agriculture, et les gestionnaires de réseaux d'eau.

Des initiatives de l'industrie sont engagées autour de quelques pôles de compétitivité comme Axelera dans la région Rhône-Alpes, pour construire une filière industrielle et scientifique capable d'épargner la ressource en eau.

Faisons de la mise en cause de la France par l'Union européenne le déclencheur d'une nouvelle ambition et développons de telles initiatives autour de chaque bassin hydrographique pour que la France devienne une référence mondiale qui sait conjuguer chimie agriculture industrie et environnement

Industriels et agriculteurs doivent désormais mettre en commun de manière exhaustive toutes les données susceptibles d'affecter la qualité des sources d'eau. Anticiper le traitement des risques liés aujourd'hui aux "poissons mutants", comme hier au "bœuf aux hormones", n'est pas moins vital qu'anticiper le traitement des déchets nucléaires.

Par Hélène Roques, fondatrice de Doing Good Doing Well.

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