Dix ans après Lehman Brothers : « Nous n’avons plus le luxe d’attendre la prochaine crise »

« Nous savons avec certitude qu’il y aura une nouvelle crise. Mais nous ignorons quand et pour quelle raison » (Danièle Nouy, responsable de la supervision du secteur bancaire à la Banque centrale européenne, 5 septembre 2018, Agence LETA). Cette crise pourrait bien être pire que la précédente. Sauf si d’ici là, ou juste après, se produit un sursaut civique et démocratique, une nouvelle vague d’Indignés dix fois plus puissante qui impose le contrôle citoyen de la finance.

A la différence de 2007, peu d’acteurs financiers ignorent la forte probabilité d’une crise majeure à venir. L’explosion des dettes publiques et privées depuis 2008 fait dire à Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la Banque centrale européenne, que la situation est aussi dangereuse aujourd’hui qu’au moment de la chute de Lehman Brothers (4 septembre 2018, AFP). Bitcoin, pays émergents, immobilier chinois, banques italiennes, zone euro, Tesla, Wall Street… laquelle de ces bombes à retardement sera le détonateur ? Personne ne le sait, mais le risque est fort d’un effondrement majeur.

Personne n’ignore non plus qui a soufflé dans ces bulles depuis dix ans. Ce sont les ultra-riches, qui ont capté l’essentiel des gains de productivité, aussitôt réinvestis en bourse. Ce sont les gouvernements, qui se sont contentés de réformes à minima, ont enterré la taxation des transactions financières et ont laissé les banques financer la spéculation.

Ce sont les banquiers centraux, qui ont injecté des milliers de milliards de dollars, d’euros, de yen et de yuans, créant ainsi les conditions du krach suivant. Personne ne disconvient non plus du fait que les Etats, surendettés, seront alors bien démunis, et qu’il ne restera aux banques centrales, seules en lice, qu’à déverser de nouveaux torrents de liquidité en priant pour que ça marche.

Effondrement inévitable

Le plus extraordinaire est cette lucidité. Comment qualifier cette classe dominante qui choisit de perpétuer ses privilèges par des expédients qu’elle sait ineptes pour n’être aptes, au mieux, qu’à retarder les catastrophes tout en les aggravant ? En France, que dire de l’empressement d’Emmanuel Macron à courtiser, à Versailles (!), les maîtres de ce vacillant « nouveau monde » ? A dérouler le tapis rouge à Goldman Sachs, HSBC et consorts pour qu’ils déménagent de la City-post Brexit vers Paris ?

Ce qui est vrai de la finance l’est encore plus de l’écologie : comment nommer cette inaction face à l’envol des émissions de CO2 et à la pression des lobbies nucléaire et productivistes ? Quel autre mot employer que celui d’irresponsable ? Nicolas Hulot, qui a longtemps cru utile de conseiller les puissants, a fini par en pleurer.

Si l’effondrement semble désormais inévitable, personne ne peut prévoir sa date ni son ampleur. Concernant la crise financière à venir, quels seront ses ravages sur le système bancaire, l’investissement, l’emploi ? Comment relancer alors la transition écologique ? En pleine montée des populismes, comment la démocratie résistera-t-elle à un nouveau séisme provoqué par une oligarchie hors-sol ?

Les mouvements sociaux et citoyens ont montré que des voies alternatives existent. Après 2008, les mouvements des places et autres Indignés, Occupy, printemps arabes…, ont commencé à construire une nouvelle conception de la politique fondée sur la démocratie directe et le contrôle citoyen.

Il est urgent d’agir

Des luttes populaires obstinées contre l’extractivisme et le saccage de la nature se sont multipliées et ont marqué des points, comme pour l’oléoduc Keystone XL ou l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. De nouvelles formes de travail en commun, collaboratives et éthiques, ont émergé dans des coopératives, des municipalités, des réseaux, et même des entreprises privées.

Mais ces alternatives sont condamnées à rester marginales si nous laissons des banques comme Société générale ou BNP Paribas utiliser notre épargne pour spéculer, organiser l’évasion fiscale ou investir dans des projets toxiques, si nous nous résignons à consommer les produits de multinationales comme Apple, Starbucks, Engie ou Total, alimentant ainsi leur évasion fiscale ou leurs investissements dans les énergies fossiles.

Et que dire d’une institution publique comme la Caisse des dépôts et consignations qui investit l’argent du Fonds de réserve pour les retraites, du Livret A ou du Livret de développement durable et solidaire dans des dizaines de multinationales directement impliquées dans des projets polluants ?

Avec l’escalade des dérèglements climatiques et l’imminence d’une prochaine crise financière, nous n’avons plus le luxe d’attendre. Il est urgent d’agir individuellement et collectivement pour signifier à ces banques, ces multinationales ou ces institutions publiques que nous n’allons plus les laisser faire n’importe quoi avec notre argent. Et pourquoi pas organiser dans les mois à venir un vaste mouvement de désinvestissement des énergies fossiles et de la finance toxique, tout le contraire de ce qui est mis en œuvre par Emmanuel Macron et son gouvernement.

Par Thomas Coutrot (economiste, ancien porte-parole d’Attac) et Aurélie Trouvé (Economiste, porte-parole d’Attac France).

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