Dix exercices faciles pour un séjour à Alep

A Alep, le 4 octobre. Photo Thaer Mohammed. AFP
A Alep, le 4 octobre. Photo Thaer Mohammed. AFP

1) Debout ou assis, regarder son plafond. En absorber la présence.

2) Le faire descendre lentement vers soi (avec tous ses étages au-dessus). L’arrêter juste au-dessus de sa tête.

3) Lâcher tout.

4) Votre tête s’est enfoncée à l’intérieur de la cage thoracique, celle-ci est descendue dans l’abdomen, les jambes ont pris des angles fantaisistes. Goûtez la position quelques secondes.

5) Respirez, ressuscitez.

6) Même chose, mais la tête est épargnée, tout le reste est sous des tonnes de gravats, vous essayez de respirer, à tout petits coups, vous respirez de la poussière, puis vous étouffez, lentement, lentement.

7) Sortez de là, respirez.

8) Même chose, cette fois avec votre bébé, là avec vous, ou à côté.

9) Après plusieurs heures, vous réussissez à sortir avec l’enfant, tout est éclaté autour de vous, votre bébé est déshydraté, n’a plus la force de pleurer. Tout désarticulé que vous êtes, vous cherchez de l’eau. Pendant des heures. Là, dans un trou, un peu d’eau grise. Vous la prenez.

10) Vous êtes malade, le bébé a la diarrhée. Non, n’allez pas chercher le Spasfon, le Diarsed, le Doliprane. Vous n’en trouverez pas. Vous restez plié sur votre ventre, votre enfant est très pâle, il geint.

Quand les os, la chair sont suffisamment informés, que vous en sentez la dislocation, que vous éprouvez la soif qui colle les lèvres, ajoutez un autre élément :

- Le bruit des bombardiers. Ecoutez-le dix, quinze, vingt fois par jour, par nuit. Un bruit assourdissant dans vos oreilles. Dans celles de l’enfant. Ses tympans sont fragiles, le vacarme pénètre son cerveau.

- Ecoutez le petit cœur de l’enfant, il bat à une vitesse folle.

- Regardez ses yeux, son visage, éperdus de terreur.

- Il appelle ses parents, ses parents impuissants, l’appel flotte au-dessus du tas de murs effondrés d’où n’émerge que son petit pied nu.

Nous l’entendons le jour, nous l’entendons la nuit, nous l’entendrons tout le reste de notre vie.

L’appel des petits enfants écrabouillés.

L’appel des petits enfants martyrs.

Nous, parents, grands-parents et tous ceux qu’épouvante ce massacre, qu’attendons-nous pour nous rejoindre sur une place, dans les rues, comme nous l’avons fait en d’autres circonstances ?

Qu’attendons-nous pour exiger la fin des bombardements de civils ?

Qu’attendons-nous pour exiger un corridor humanitaire et des zones protégées par l’ONU ?

Pierrette Fleutiaux, écrivaine; Ariane Bois Heilbronn, écrivaine.

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