Djihadisme entre fonctionnement psychique et idéologie

Kiosque à journaux, Nice, 14 novembre 2015, au lendemain des attentats de Paris. © ERIC GAILLARD
Kiosque à journaux, Nice, 14 novembre 2015, au lendemain des attentats de Paris. © ERIC GAILLARD

L’engagement dans le terrorisme djihadiste est l’aboutissement d’une longue chaîne de petites décisions complexes et contradictoires dont les conséquences sont, sur le moment, souvent difficilement prévisibles.

Rappelons également que nos connaissances cliniques ne sont la plupart du temps qu’indirectes. Toute généralisation est donc à éviter. Néanmoins, malgré ces limites, il est important d’essayer de penser ces phénomènes car ces actes ont été commis par des êtres qui sont des humains et qui ont été, probablement, des petits enfants tout à fait adorables. Alors, comment peut-on penser le devenir djihadiste?

La description du comportement des djihadistes donne l’impression qu’on est en présence d’une répression totale des émotions avec une pensée désincarnée, désinsérée du corps et malléable pour l’endoctrinement. Ce fonctionnement va généralement de pair avec des mécanismes de défense archaïques tels que clivage, projection, déni ou encore voie courte avec passage par l’acte et satisfaction immédiate.

Les sentiments précèdent les pensées

Les études neuroscientifiques ont montré que ce sont les sentiments qui précèdent les pensées et non pas l’inverse. Nous éprouvons dans un premier temps et les pensées sont une sorte de mise en forme, mise en mot de ce que nous sentons et éprouvons.

Par conséquent, ces djihadistes sont comme coupés de leurs sentiments d’ambivalence conscients et inconscients, des sentiments qui constituent de puissants garde-fous concernant le bien et le mal. Pourrait-on dire que ces terroristes-kamikazes fonctionnent comme des êtres humains désubjectivisés et privés de toute subjectivité? Cette répression des émotions, complétée par des mécanismes de défense archaïques, est certainement favorisée par la précarité socio-économique.

On imagine facilement que les relations parents-enfants affectives, aimantes et d’une saine ambivalence, ont eu de la peine à se développer dans de tels milieux, généralement caractérisés par une importante déstructuration du tissu familial. Cependant, ni le fonctionnement psychique, ni la précarité socio-économique ne constituent une nouveauté.

Humiliation personnelle et culturelle

Ces deux facteurs sont devenus explosifs en association avec un troisième, l’humiliation personnelle et culturelle sous forme d’une identification à l’idéal déchu des parents, surtout des pères.

L’humiliation personnelle avec des contrôles de police au «faciès» et les échecs socioprofessionnels répétés peuvent donner l’impression de ne pas pouvoir s’en sortir mieux que les parents et que cela ne peut que se répéter.

A cette humiliation personnelle et familiale s’ajoute un vécu culturel d’humiliation apparu il y a une vingtaine d’années et dont les origines, parfois lointaines, sont multiples, telles les croisades, la politique de partition du Moyen Orient après le démantèlement de l’Empire ottoman, le conflit israélo-palestinien ou encore l’intervention américaine en Irak.

Ce sentiment d’humiliation culturelle, inséré dans de solides alliances inconscientes, constitue évidemment un formidable terreau pour le terrorisme djihadiste, une sorte de «bouillon de culture» bénéficiant actuellement d’une forte implantation démographique.

Perversion de l’idéalité

Enfin, le dernier facteur, relativement récent – la goutte d’eau qui a fait déborder le vase – est le «projet d’espoir» paradisiaque, prétendument islamique, qui supprime toute altérité, un projet qui cherche sa légitimation dans le wahhabisme de l’Arabie Saoudite, un pays que certains auteurs arabes qualifient de «Daech qui a réussi».

Pourrait-on parler d’élation mortifère toute-puissante, une sorte de perversion de l’idéalité avec jouissance de la mort illustrée par «vous aimez la vie comme nous aimons la mort» et une haine destructrice jubilatoire à l’égard de tout ce qui est différent? Une sorte de retour fantasmatique au ventre maternel avec suppression de la limite intérieur/extérieur et sujet/objet dans une jouissance mortifère?

L’Occident a aussi son travail de conscience à faire

Comme tout phénomène social, le djihadisme a sa propre évolution avec un début et une fin. Pour favoriser ce processus d’extinction, les mesures éducatives, sociales et répressives en Europe ne sont évidemment pas à sous-estimer comme par ailleurs aussi le travail autocritique du monde arabo-musulman concernant ses repères idéologiques et religieux, un travail qui demandera beaucoup de temps.

Mais l’Occident a aussi son travail de conscience à faire face à ses responsabilités et son attitude à l’égard de la problématique proche-orientale et particulièrement du conflit israélo-palestinien.

Heureusement, le «projet d’espoir» djihadiste est aussi peu inséré dans l’évolution de fond de la réalité socio-économique du monde arabo-musulman que le fonctionnement psychique des terroristes djihadistes est peu incarné dans le monde des émotions.

Tout en n’ayant pas d’avenir, ce courant idéologique a cependant un coût énorme pour les populations concernées, particulièrement au Proche Orient.

Andreas Saurer, psychanalyste.

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