Donald Trump s’inscrit dans une longue tradition protectionniste américaine

Sous l’impulsion de Donald Trump (mais aussi de Joe Biden), les Etats-Unis, jusque-là perçus comme le bastion du capitalisme libéral, sont devenus une nation ouvertement protectionniste. Certains soulignent que cette évolution s’inscrit dans une très ancienne tradition, qui remonte aux origines. L’un des Pères fondateurs, Alexander Hamilton (1757-1804), n’était-il pas le premier protectionniste américain ? Vrai, même si l’approche du commerce international de Hamilton était très différente de celle de l’actuel président. Il croyait qu’il fallait protéger les industries américaines naissantes, mais pas de puissants intérêts.

Jeune nation née d’une guerre contre le Royaume-Uni, les Etats-Unis étaient dépendants des grandes puissances européennes, et leur économie était vulnérable. En 1790, le président George Washington demanda au Congrès de « promouvoir les manufactures », afin que le pays devienne autosuffisant, « notamment pour les fournitures militaires ». L’Amérique avait souffert de pénuries durant la guerre d’indépendance, et le président et le secrétaire au Trésor, Alexander Hamilton, restaient traumatisés par le Prohibitory Act britannique de 1775, un blocus commercial qui avait privé le pays de produits de première nécessité. Hamilton en était venu à penser que le discours sur le libre-échange n’était qu’un écran de fumée pour permettre la domination britannique des marchés.

En décembre 1791, Hamilton présenta au Congrès son rapport sur les manufactures. Ce plan répondait aux arguments d’Adam Smith, qui affirmait que le libre-échange créait de la richesse dans tous les cas de figure. Hamilton proposa, « par le soutien extraordinaire du gouvernement, d’accélérer la croissance des manufactures ». Il prônait l’utilisation des subventions et des droits de douane pour « préserver l’équilibre du commerce ».

Il affirmait que les filatures de coton étaient responsables des « immenses progrès » de la Grande-Bretagne et qu’il fallait, pour les connaître, se doter d’une véritable stratégie industrielle, en suivant l’exemple du « grand Colbert ». La voie à suivre était d’imposer des droits de douane modérés, entre 7 % et 10 %, et de distribuer des subventions à certaines industries comme la sidérurgie.

« A la lumière de l’expérience »

Pour Hamilton, il allait de soi que les droits de douane et les subventions relevaient de la compétence du Congrès, qui devait mettre en place « un bureau (…) pour la promotion des arts, de l’agriculture, des manufactures et du commerce ». Il espérait que ce bureau financerait l’arrivée d’« artistes et de fabricants » immigrés afin « d’encourager la poursuite et l’introduction de découvertes, d’inventions et d’améliorations utiles ».

Ce qui est moins connu, c’est qu’il mettait aussi en garde contre un excès de protectionnisme, qui risquait d’augmenter les prix et de freiner la demande. Il recommandait de n’avancer que prudemment, « à la lumière de l’expérience ». Les protections et subventions ne devaient pas se prolonger au-delà du stade initial du processus d’industrialisation, car, selon lui, des mesures trop prolongées risquaient de se retourner contre leur objectif, en créant inefficacité, corruption et guerres commerciales.

Les autres Pères fondateurs, malgré les doutes de certains d’entre eux comme le président James Madison [au pouvoir de 1809 à 1817], finirent par se rallier à ses idées et soutinrent le Tariff Act de 1790. Même Thomas Jefferson [1801-1809], ardent défenseur d’Adam Smith, se convainquit de la nécessité de soutenir les industries naissantes, au nom de l’« indépendance ». Les guerres successives des Etats-Unis ne firent que renforcer cette conviction. Le secrétaire d’Etat Henry Clay poursuivit la politique économique de Hamilton avec son « American System » qui visait, en mêlant protectionnisme et investissements militaires et industriels, à concurrencer les politiques britanniques de libre-échange, perçues comme une menace nationale.

« Un raisonnement inattaquable »

Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, les protectionnistes vantaient le grand homme : « Les vérités qu’Alexander Hamilton a proclamées avec génie et autorité ont été justifiées par les progrès industriels remarquables des Etats-Unis », pouvait écrire en 1853 l’économiste américain E. Peshine Smith. « Le raisonnement de Hamilton reste inattaquable : la prospérité d’une nation dépend du développement de ses propres industries », renchérissait trente ans plus tard l’économiste George Gunton. L’Amérique était devenue une puissance industrielle, mais Hamilton continuait à être convoqué pour défendre des versions plus musclées du protectionnisme.

Que sa vision – pensée pour une économie américaine encore fragile en 1790 – puisse servir à justifier le protectionnisme en vigueur à la fin du XIXe et au début du XXe siècle est loin d’aller de soi. Cela n’a pas empêché les présidents McKinley [1897-1901], Harding [1921-1923] et Coolidge [1923-1929] de s’en réclamer pour promouvoir des lois augmentant les droits de douane. Avec la Grande Dépression des années 1930, le président Hoover [1929-1933] chercha à protéger l’industrie américaine par le Smoot-Hawley Tariff Act, qui porta les droits de douane à environ 20 %, aggravant la crise. Les Etats-Unis commencèrent enfin à libéraliser le commerce en 1934, mais les politiques de guerre du président Franklin Roosevelt [1933-1945], suivies par les stratégies de la guerre froide, placèrent la stratégie industrielle au cœur de la politique américaine.

Ainsi, Donald Trump s’inscrit dans une longue tradition protectionniste américaine. Pourtant, il existe des différences notables entre le soutien hamiltonien aux industries naissantes et la guerre commerciale façon Trump. L’actuel président ne montre aucun intérêt pour le soutien aux industries naissantes vertes et technologiques. En réalité, sa politique semble incarner toutes les craintes que Hamilton avait exprimées à propos des risques d’un protectionnisme excessif et sans vision stratégique.

Jacob Soll est professeur de philosophie et d’histoire à l’université de Californie du Sud.

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